« Ou vous avez un rival, ou vous n’en avez pas. Si vous en avez un, il faut plaire pour lui être préféré. Si vous n’en avez pas, il faut encore plaire pour éviter d’en avoir ». Cette phrase de Pierre Choderlos de Laclos dans Les liaisons dangereuses, pourrait très bien représenter les rapports quelques peu tendus qu’entretiennent les deux principales associations d’accueil des nouveaux arrivants de Vancouver. D’un coté le réseau international Français du monde à Vancouver (FdMV), et de l’autre Vancouver en Français (VeF).
Petit retour en arrière, en juin 2010 s’ouvrait l’antenne vancouvéroise du réseau international Français du monde. Son but, aider et accompagner les migrants français et francophones dans leur intégration en Colombie-Britannique. Pierre Touzel, son président, décrit l’organisation comme une association militante, non engagée politiquement mais fidèle aux valeurs de la gauche républicaine française. L’organisation enregistre quelques succès comme la reconnaissance du permis de conduire français en C.-B., mais très vite, une grande partie des membres quitte FdMV et part fonder Vancouver en Français, une association dont les buts sont semblables mais qui refuse absolument tout parti-pris politique.
Dès lors les deux associations vont coexister, mais pas s’entendre. Lorsque VeF organise Make Music Vancouver à Gastown, FdMV réplique par une fête de la musique à Yaletown. Si l’une organise un barbecue le 14 juillet, l’autre va lancer une journée thé et pâtisserie au même moment. Bref, ce n’est pas encore la guerre, mais on n’en est pas loin. Les deux associations comptent chacune une cinquantaine d’adhérents et toutes les deux tentent de dépasser l’autre dans l’organisation d’événements. Que ce soit par l’originalité des activités proposées ou en s’imposant comme meilleur recours des migrants fraichement débarqués en ville.
Du coté de FdMV, on refuse tout d’abord de parler de la scission qui a frappé l’organisation. Derrière une incompréhension plus ou moins feinte, on essaye de changer de sujet. On insiste avant tout sur l’expérience de la direction dont certains membres ont passé plus de quinze ans dans le milieu associatif, ainsi que le sérieux et la légitimité d’une organisation pérenne. On se targue aussi de faire remonter les attentes concrètes des migrants vis-à-vis des politiques responsables des français de l’étranger. Pour souligner l’action de FdMV, son président nous rappelle que le taux de vote des français de l’étranger à été plus fort à Vancouver que partout ailleurs au Canada. En grande partie, nous dit-il, grâce à la mobilisation de son association.
Mais du coté de VeF, les “rebelles”, les langues se délient et les raisons de la séparation sont évoquées bien plus clairement. Pour Bernard Ho, leur trésorier, la direction de FdMV a voulu passer outre ses statuts indiquant sa neutralité politique pour entrer en campagne ouverte au profit de la gauche. “Il s’agissait clairement d’un manque à la parole donnée de FdMV de ne pas faire campagne pour qui que ce soit L’association devait être neutre aux élections, mais cela ne fut pas le cas. Elle a reçu des sénateurs de gauche, distribuée des tracts de campagne à leurs événements, mais sans en faire autant pour la droite.”
Une faute, voire une trahison pour de nombreux membres de l’association qui après un avertissement, ignoré, ont décidé de claquer la porte.« Nous étions là pour aider les nouveaux migrants, pas pour faire de la politique” et c’est ainsi que les associatifs déçus par FdMV ont créé Vancouver en Français. Une association dont la vice présidente, Emmanuelle Archer, nous rappelle fièrement que ses fonds ne proviennent que des cotisations et des frais de participation aux événements et ateliers versés par les participants, aucune subvention. « Il y avait aussi cette envie d’augmenter l’offre des activités proposées par rapport à celle existante qui était un peu faible à l’époque » continue-t-elle « car il y a une énorme demande d’infos pratiques, de petits coups de mains et d’opportunités pour mieux connaître Vancouver et s’y intégrer ».
Le match entre les deux associations se poursuit, avec pour le moment un avantage du coté de VeF grâce au succès de Make Music Vancouver et à une équipe très active. C’est le cas à travers l’utilisation des réseaux sociaux qui permettent de toucher énormément de monde et de faire connaître l’association de façon très efficace. De son coté, FdMV promet de frapper fort prochainement et d’avoir lui aussi son événement-phare. La rivalité est stimulante, et le succès des rebelles de VeF semble avoir piqué à vif l’orgueil de leurs rivaux.