Ayant grandi à la fois au Canada et en Russie, j’ai pu être témoin – en tant qu’enfant et maintenant en tant qu’adulte – de la façon dont les enfants sont perçus et traités dans ces deux sociétés très distinctes. J’avais dix ans lorsque je suis arrivée au Canada en provenance de la Russie. Il m’a semblé que tout a été chamboulé en une seule nuit.
La façon dont une société perçoit ses enfants dépend de nombreux facteurs. Nouvelles idées, opinion publique, religion et culture y jouent un rôle, et le temps y est pour quelque chose aussi. Selon Patricia Demers dans son ouvrage From Instruction to Delight: an anthology of children’s literature to 1850, il y avait très peu de livres pour enfants en Angleterre dans les années 1600. Ceux qui leur étaient destinés avaient surtout pour objectif le développement spirituel. Cela a commencé à changer à partir de la fin du dix-septième siècle. Les maisons d’éditions et les auteurs avaient alors sans doute réalisé que les enfants raffolent d’histoires. L’industrie commença à proposer de petits livres bon marché, des contes de fées, des romans médiévaux et des fables.
Pendant mon enfance en Russie, j’avais le sentiment qu’il y avait des règles strictes sur l’obéissance et la politesse envers les adultes. A l’école, il fallait s’asseoir le dos bien droit, les mains croisées devant soi sur le bureau. Pour répondre à une question en classe, il fallait lever la main précautionneusement afin que le coude touche bien le bureau. Tout geste plus vigoureux ou indiscipliné vous valait une belle remontrance.
Les enfants étaient par contre des plus libres de faire ce que bon leur semblait à l’extérieur. Mon frère et moi parcourions joyeusement les rues de la ville pour aller jouer avec les chiens errants et construire des cabanes dans les arbres. Les adultes n’avaient pas besoin de nous surveiller puisque le régime de l’Union Soviétique avait éradiqué toute forme de crime, à l’exception des crimes politiques.
En route vers le Canada, notre avion avait fait escale à Amsterdam. Notre père nous avait pris à part pour nous expliquer que les enfants étaient traités différemment dans notre nouveau pays. Il insistait sur le fait que les adultes étaient moins strictes. Mon frère et moi étions ravis de cette nouvelle.
Dans les deux semaines suivant notre arrivée, nous avons été inscrits dans une école élémentaire de la banlieue tranquille de Burnaby et nous fûmes en mesure de confirmer la théorie de notre père. La première règle à disparaître fut de demander la permission à l’instituteur pour aller aux toilettes ou en pause. A quoi bon demander quand il est si simple de quitter la classe pour aller gambader sur le terrain de jeu désert ? Jouer dans la gadoue. C’était souvent boueux car il pleuvait beaucoup ici comparé à la Russie.
La barrière de la langue aidait aussi. Bien que j’aurais juré que l’enseignante était en colère contre moi, elle souriait toujours et disait des choses calmes et rassurantes. Elle n’a jamais levé sa voix ou menacé de me taper avec une règle pour avoir séché une classe. Leçon désapprise.
A l’inverse de mon expérience en Russie, les adultes ici étaient moins strictes, mais les enfants avaient moins de liberté. Il ne nous était soudain plus possible de faire ce que nous voulions dehors. Nous pouvions nous asseoir par terre à l’école, socialiser avec d’autres enfants pendant les activités scolaires et lever la main aussi haut que nous voulions. Par contre, nous n’avions pas le droit de nous rendre seuls à l’école ou de nous promener la nuit. Le niveau de surveillance des adultes à Vancouver nous surprenait.
Le chroniqueur canadien Marcus Gee citait un jour l’auteur Warwick Cairns, déclarant qu’en Amérique du Nord : « d’après les lois de la probabilité, si vous vouliez vraiment que votre enfant soit enlevé par un inconnu, il faudrait le laisser dehors sans surveillance pendant 750 000 ans. »
Au lieu de dire à des enfants de huit et neuf ans respectivement d’aller prendre l’air, les adultes se sentaient obligés de les accompagner au parc. Nous ne voyions pas d’enfant de dix ans faire du vélo dans la rue sans ses parents. Les gens vous regardaient d’un drôle d’air si vous aviez moins de douze ans et que vous décidiez d’aller seul au magasin ou prendre le bus. J’imagine que tout cela peut être dangereux mais nous étions tout de même surpris. Aussi étonnante qu’elle nous semblait, nous apprécions tout de même cette attention.
Les enseignants à Vancouver sont différents de tout ce que j’avais connu jusque là. Ils vous regardent, vous écoutent, et la plupart semblent même sincèrement s’intéresser à vous. Les autres adultes semblent aussi moins stressés. Ils vous saluent dans la rue, en particulier dans les quartiers plus tranquilles, et surtout si vous avez un petit chien ou un enfant.
Un jour, en route vers un magasin avec ma grand-mère, un parfait inconnu nous salua : « Bonjour, comment allez-vous ? » Il souriait et son regard était amical. Ma grand-mère s’arrêta net et le dévisagea avec inquiétude. « Qu’est-ce qu’il nous veut ? » demanda-t-elle. Je répondais rapidement « Nous allons bien, merci ! »
Au contact de ces adultes gentils et bienveillants, j’ai vite appris à être de nouveau polie.
Traduction Aurore Thiercelin