Mixité africaine et francophonie en C.-B.

Kitsilano, vendredi 2 novembre, Mehdi Falaki, Marocain installé à Vancouver depuis 2009, organise une soirée entre amis. Si la communauté francophone du Maghreb et du Sud du Sahara est difficilement identifiable au quotidien à Vancouver : « La francophonie, c’est l’usage de la langue française comme instrument de symbiose, par-delà nos propres langues nationales ou régionales (…) malgré nos différentes civilisations. » C’est en ces termes que Léopold Sédar Senghor, considéré comme l’un des pères fondateurs de la francophonie, s’est exprimé. Le point commun entre les diverses cultures réunies sous le nom de francophonie c’est la langue.

Une étude menée en 2006 sur le profil de la communauté francophone en Colombie-Britannique rapporte qu’un francophone sur huit est né dans cette région. Si le climat et la proximité de l’océan peuvent être déterminants dans le choix de Vancouver, quand on vient du continent africain, cela ne suffit pas toujours pour se sentir francophone.

Vivre son identité mixte ne s’improvise pas. Pascaline Nsekera, originaire du Burundi et coordinatrice en immigration à la Fédération des francophones de C.-B. est arrivée en 1997 au Canada. Elle nous explique « au Burundi, le Kirundi est la langue nationale et le français est la langue officielle. On grandit en parlant le kirundi. Après, quand on va à l’école, on apprend quelques mots de français, c’est évolutif dans l’éducation. Ça fait partie de la langue de travail, d’éducation. » L’environnement crée des espaces où les deux cultures peuvent s’exprimer. Vivre cette mixité culturelle depuis l’enfance permet de s’adapter plus facilement. C’est le cas de Yassine Amraoui, franco-Marocain ayant grandi en France et arrivé il y a quatre mois au Canada : « Mon père est Marocain, ma mère est Française. J’ai toujours vécu les deux cultures, si j’ai dû jongler ça n’a pas été négativement. »

Photo par looking4poetry, Flickr

 

Le poids de l’histoire

Avec la colonisation, la France a projeté une part de son identité à travers le monde. Il en reste un héritage peu glorieux dont certaines cicatrices demeurent. Selon Pascaline : « Il y a toujours la relation du dominé et du dominant ici, à Vancouver. Je crois que ce sont les rapports qui existent toujours entre l’Afrique et l’Europe. Pas du côté individuel, mais économique. C’est intériorisé. » Les relations privilégiées qui existent entre les francophones d’Afrique et d’Europe ne sont pas égales. Cependant, les pays d’Afrique restent très attentifs à ce qui se passe dans les autres pays francophones. Yassine parle de son expérience au Maroc : « Notre génération apprend le français dès la maternelle, ils sont francophones à cent pour cent. Les jeunes essaient de parler le français le mieux possible. C’est un plus. »

« Ici quand je rencontre des Français je suis content car je sais qu’il y a plus d’affinités qu’avec un Canadien anglophone, il y a un contact qui se fait directement », affirme Medhi Falaki. La compréhension devient plus immédiate grâce au partage de valeurs, de références communes, d’humour. Cela donne des bases pour construire cette francophonie et pour l’entretenir au quotidien. Mais des différences persistent. « Que tu sois religieux ou pas, c’est pas les mêmes traditions. Je ne fais pas le ramadan mais j’aime bien l’ambiance du ramadan car c’est dans ma culture. Les Français, s’ils ne sont pas croyants, ils vont quand même fêter noël. »

Passer d’une identité à l’autre

Faut-il mettre de côté une part de son identité sous prétexte que le français est ce qui unit ? La présence de Yassine à Vancouver pour prendre de la distance avec la France, est aussi un moyen de préserver la part marocaine en lui. « Les deux cultures sont fondues en moi, j’aime l’une, j’aime l’autre, ça forme quelque chose d’encore différent, ni français, ni marocain. La France ne me manque pas mais le Maroc oui. » Pour Medhi Falaki, les contacts avec la communauté lui sont nécessaires pour se sentir bien. La rencontre avec une personne de cette communauté marocaine lui a permis de s’intégrer à ce groupe restreint à Vancouver. Au quotidien, il vit différemment sa culture. Il avoue écouter plus de musique marocaine que lorsqu’il y était, il l’apprécie mieux. Les traditions, comme la rupture du jeûne du Ramadan, sont aussi l’occasion de se retrouver et de partager avec des amis dont ce n’est pas la culture.

Cette mixité culturelle que chacun vit de manière personnelle, constitue une identité ouverte, qui s’adapte. Pour Pascaline Nsekera, « je suis Burundaise, francophone et Canadienne, je m’identifie comme francophone. On a aussi une autre identité africaine. Je suis flexible et fière de pouvoir adopter les trois identités. Le défi, c’est d’accommoder les différentes facettes de son identité et de les vivre sans gêne. »

Pour autant, elle avoue qu’en dehors de la communauté francophone, vivre cette part d’elle n’est pas toujours évident à cause du contexte anglophone de la Colombie-Britannique. Mais comme le souligne Yassine, « quel que soit l’endroit d’où l’on vient, on doit représenter ses racines, on doit être fier. »