Je suis née et j’ai grandi à Vancouver. Quiconque ayant grandi dans cette ville multiculturelle sait qu’il est normal d’interagir avec des gens en provenance du monde entier. J’ai des amis du Japon comme du Brésil, et je peux m’offrir des repas aux saveurs culinaires internationales qui me coûtent moins cher que le prix d’un billet de cinéma.
Et pourtant, ce qui me fait le plus grincer des dents ce sont les touristes qui, venant de lieux lointains tels que le Japon, le Brésil, l’Inde, l’Afghanistan et même nos voisins de Seattle avec leur identité et leurs coutumes me demandent ce qui définit l’esprit ou la cuisine canadienne. Je suis convaincue qu’ils veulent une réponse vite faite. « Et bien, ce serait comme chaque soir, un hamburger et des macaronis au fromage, avec un morceau de pain bannock pour couronner le tout. Ensuite nous nous emmitouflons pour jouer au hockey sur l’étang, gelé en permanence. » Je sais, j’exagère. En vérité, je n’ai pas de réponses à ces questions. Ne vous méprenez pas. J’adore mon pays, mais je peine moi-même à résumer en deux mots l’essence canadienne. Ce qui ne cesse de m’intriguer, c’est le regard que les touristes posent sur nous. Au fil des ans, j’ai fait une liste de ce que les gens pensent des Canadiens. Leurs propos me fascinent, je suis comme une éponge assoiffée : « s’il vous plaît, dites-moi qui je suis ».
Tout d’abord, il y a la perspective américaine, par le biais de cousins new-yorkais. Enfants, ils adoraient le goût de notre eau potable. « Les Canadiens ont la meilleure eau! », s’exclamaient-ils. Incrédule, je les dévisageais. A l’adolescence, j’étais choquée d’apprendre que leurs amis croyaient dur comme fer que nous vivions dans des igloos et qu’il neigeait à longueur d’année. « Mais, Vancouver c’est tout de même à côté de Seattle », m’exclamais-je. Rien à faire. Tous les Canadiens vivent dans un blizzard permanent.
Dans ma vingtaine, j’ai fait visiter Vancouver à un ami venu de Grande-Bretagne. Il a adoré la Côte Ouest. Enfin, c’est ce que je croyais, mais un jour, vers deux heures du matin alors que je commençais à avoir marre de la vie nocturne de la ville, il s’exclama : « Comme les Canadiens sont prudes et distants ». On ne veut soit-disant pas faire la fête passé deux heures du matin. Et puis tout le monde prend l’usage des drogues dites douces, trop au sérieux. Attendez, qu’est- ce-que ça veut bien dire !? Vancouver, la capitale mondiale de l’héroïne, la ville qui a quasiment légalisé l’usage quotidien de la marijuana, ne se drogue pas assez ? Il m’a appris que c’était ce que la plupart des Britanniques pensaient de nous. On ne prend pas de risques, on ne fait la fête que les weekends, on ne prend jamais de cuite le mardi soir par exemple.
La perspective allemande m’est venue d’un étudiant que j’ai brièvement fréquenté. Son point de vue s’est formulé un jour, sur la rue Granville, alors qu’une femme s’excusait de passer devant nous. « C’est ce que je déteste le plus chez les Canadiens » cracha-t-il. Je l’ai regardé, intriguée. « Vous passez votre temps à vous excuser des choses les plus sottes. Vous êtes amicaux et chaleureux en surface, mais vous n’épaulez pas les gens comme un vrai ami le ferait. Ici, personne ne veut s’impliquer ». J’ai essayé de lui expliquer que nous n’étions pas qu’une bande de gros courtois, mais il restait convaincu que notre politesse culturelle n’était qu’une façon de tenir les autres à l’écart. J’ai trouvé la notion intéressante…et me suis excusé de la chose.
Finalement, il y a la perspective d’un collègue irlandais qui m’a nié mon héritage italien. Autour d’une bière durant une soirée (avant 23 heures, souvenez- vous que je suis canadienne), je lui ai dit que mon copain était irlandais et que j’avais du sang italien. « Vraiment, » a-t-il dit, « le regard renfrogné. Et où êtes-vous nés, tous les deux ? » « En Ontario et sur l’Ile de Vancouver », ai-je admis. Résultat, j’ai reçu un sermon sur le fait qu’il en avait assez d’entendre les Canadiens affirmer qu’ils venaient d’ailleurs, alors qu’ils étaient nés ici. « Si tu allais en Italie, et que tu leur disais que tu es italienne, ils riraient de toi », précisa-t-il. Ce que j’en ai retenu, c’est que je n’étais plus à moitié italienne. Et moi qui, à ce jour, trouvait que c’était mon trait le plus exotique.
Alors, que conclure ? Les Canadiens ont une eau potable du tonnerre, habitent des huttes enneigées, sont prudes et distants, sont trop polis et devraient se sevrer de leur héritage culturel. Plus tard en étudiant le journalisme à Toronto, entourée d’étudiants venus de partout, la question récurrente était : d’où viens-tu ? Je répondais toujours avec enthousiasme : de Vancouver ! J’étais fière de ma ville et chacun voulait en savoir plus. Je leur disais que Vancouver c’est la mer et les montagnes. La randonnée et le cyclisme. C’est la beauté de l’art amérindien, le choix de cuisines exotiques et leurs innombrables épices. Ce sont les boulangeries sans gluten et notre héros local David Suzuki. C’est savoir que 50 Shades of Grey fait référence au climat. C’est le privilège de connaître des gens qui viennent de partout et vous apprennent leurs charmantes coutumes que vous pouvez ensuite intégrer à vos mœurs.
Je sais que je pourrais facilement et fièrement vanter sans fin les bienfaits d’être vancouvéroise. J’ai peut-être quelques difficultés à définir en un tour de main les Canadiens, mais je sais, dans mes tripes ce que c’est d’être vancouvéroise.
Je suis de Vancouver.
Traduction Monique Kroeger