Vendredi soir dans un café de West End. Les quelques tables du lieu sont occupées par des clients réguliers et quelques vancouvérois de sortie. En fond sonore, on entend parler japonais, espagnol, finlandais et l’anglais d’usage se pare de milles accents. Rares ici sont les personnes qui ont l’anglais comme langue maternelle. Rien de bien étonnant pour Jean de Dieu Hakizimana, fondateur de l’association Neighborhood Care International « Selon un récent sondage canadien, 52% des personnes habitant sur le territoire ont une langue maternelle qui n’est pas l’anglais ».
Pour célébrer cette appartenance, son association organise la Journée internationale des langues maternelles le 16 février à Vancouver. « L’idée de promouvoir la Journée internationale de la langue maternelle (JILM) a germé dans mon esprit en 2008 en visitant le site de l’UNESCO qui l’a instauré en 1999. En 2010 notre proposition a été acceptée par la commission canadienne pour l’Unesco et la mairie de Vancouver. » L’objectif de cet évènement est de promouvoir la diversité linguistique et l’éducation multilingue, ainsi que sensibiliser davantage aux traditions linguistiques et culturelles. « Or cela ne peut que passer par la compréhension de ces langues, la tolérance et le dialogue. » La Commission Vancouver Planning a elle-même reconnue que « la diversité ethnique de Vancouver est l’une des principales contributions au caractère unique de la ville ». La langue est ici un symbole de ces différences. Par ailleurs, à l’échelle du pays, plus de 200 langues maternelles différentes ont été déclarées lors du recensement de la population de 2011.
Vecteur d’une émotion
Un petit rappel s’impose : est définie comme langue maternelle la première que l’on a parlée, celle que l’on a apprise dès sa naissance et qui est souvent la base de notre identité sociolinguistique. Ainsi, Christina parle couramment trois langues : l’anglais, le français et l’italien après avoir vécu quasiment toute sa vie à l’étranger. Originaire de Rome, la jeune femme n’utilise quasiment jamais sa langue maternelle « sauf lorsque je dois faire face à un évènement qui me touche. Un élan de colère ou de peur par exemple et les mots qui sortent de ma bouche seront bien souvent en italien. » Pour beaucoup, la langue maternelle est ainsi la langue de l’émotion, on est rarement bilingue maternellement. On s’approprie toujours plus un langage avec sa richesse et ses particularités que l’on adoptera moins avec un autre, même lorsque l’on est élevé avec deux langues différentes. Parfois, comme ici à Vancouver, la langue maternelle reste la moins fonctionnelle. Il y a alors la langue parlée à la maison et l’anglais, pratiqué à l’extérieur.
Langue d’usage
Jean de Dieu Hakizimana s’enthousiasme de l’effervescence de culture à Vancouver « cette ville est idéale pour célébrer une telle journée compte tenu de la diversité des personnes qui peuplent la ville. Les gens d’ici parlent une multitude de langues. »
Effectivement, selon le gouvernement canadien à Vancouver, 712 000 personnes ont déclaré une langue étrangère comme principale langue d’usage à la maison. Pour 18 % d’entre elles c’est le punjabi, et elles sont 40 % à parler le cantonais ou le mandarin le plus souvent. Vancouver se distingue nettement des autres grandes régions, avec ses trois langues d’usage les plus courantes qui rassemblent plus de la moitié de l’ensemble de la population parlant une langue immigrante au quotidien.
Loin d’être perçue comme démodée ou conservatrice, l’utilisation des langues maternelles est facilement acceptée par ces habitants. « La langue maternelle est une identité et les Canadiens en sont fiers de manière générale. Malheureusement, certaines langues parlées ici sont en danger du fait de leur rareté, aucune protection particulière ne leur est accordée » s’attriste Jean de Dieu Hakizimana. De leur côté, les linguistes spécialistes s’accordent à dire qu’il s’agit d’un phénomène inévitable qui suit simplement le développement de la société. Pour communiquer, la population adopte la langue du plus grand nombre, les langues des minorités tendent alors à disparaître.
Une bonne nouvelle cependant, depuis cet été, le Vancouver Community College (VCC) a mis en place un test de langue reconnu au niveau national pour les personnes qui parlent l’anglais et une langue étrangère rare. Le test CILISAT aidera les gens à prouver leurs capacités uniques d’interprétation à des employeurs potentiels puisqu’il reconnait 37 langues et dialectes rares. Karin Reinhold, coordinateur du programme de certificat d’interprétation du VCC explique : « une personne qui parle l’arabe, ou le dari ou le swahili peut désormais passer ce test et utiliser les résultats pour postuler à un emploi comme interprète dans une salle d’audience, un hôpital ou un autre établissement public qui a besoin de services d’interprétation ».
Hold onto your tongue
16 et 23 février de 12h à 16h
Roundhouse Community Centre