Vous souvenez-vous des plats et saveurs d’antan ? De l’odeur des confitures maison et autres soupes du jardin mijotant pendant des heures jusqu’à enivrer la maison de la cuisine au grenier ? Aujourd’hui, particulièrement en ville, le manque de temps ou d’espace nous oblige souvent à acheter ce que nos aïeux faisaient eux-mêmes. En réaction à l’adage assurant que l’on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, une poignée de commerces proposent aujourd’hui de remettre à l’ordre du jour le Do It Yourself.
En ce soir de semaine, Homesteader Emporium, commerce situé sur East Hastings, s’est reconverti en salle de classe intergénérationnelle. L’affluence se révèle éclectique ; couples, familles et amis de tous âges suivent avec entrain un cours consacré à l’élevage de poules en ville. Les plus attentifs découvrent, outre la règlementation en vigueur à Vancouver limitant le poulailler à 4 occupantes, qu’une poule ne nécessite pas de coq pour pondre jusqu’à 300 œufs par an.
« Ces savoir-faire domestiques se transmettaient de génération en génération mais une rupture s’est produite dans les années 1960 ». Rick Havlak, le propriétaire des lieux, pointe du doigt la période où l’acte d’achat a supplanté l’autoproduction. Quelques générations plus tôt, ces savoirs étaient transmis mimétiquement dès l’enfance comme autant de gestes naturels. Mais aujourd’hui, le monde s’est complexifié et les détenteurs de ces savoir-faire se raréfient autant que les esturgeons dans le Fraser. Pourtant, un nombre grandissant de citadins souhaite rabibocher ce lien nous unissant avec notre mère nourricière.
Les membres de cette classe d’un soir viennent d’horizons différents. Ron, ancien agriculteur du nord de la Colombie-Britannique, est venu s’informer de la législature alors qu’il possède déjà ses poules. Ce n’est pas encore le cas pour Nicole, végétarienne de son état, qui y songe depuis bientôt 2 ans et pense que ce projet verra le jour l’année prochaine. Elle s’intéresse à la provenance des œufs qu’elle mange et souhaite également apporter une vie décente aux animaux de basse-cour potentiellement domesticables. David et Annah, jeunes colocataires, sont en passe de franchir le pas pour « être sûrs » de ce qu’ils mangent. A l’heure où les scandales dans l’industrie agroalimentaire galopent, la question de la traçabilité alimentaire refait surface.
Expérimenter ses propres idées
Rick, l’instigateur principal de ces réunions « décidées à la demande des clients », dévoile ce qui l’a poussé à ouvrir son commerce à l’hiver 2011 : « L’idée m’est venue en brassant ma propre bière, je me suis demandé ce que je pouvais tenter d’autre. Je me suis lancé mais j’étais frustré de devoir faire les quatre coins de la ville pour trouver un ingrédient, un produit, un ustensile. J’ai donc réfléchi à ce commerce combinant les idées pour attirer l’artisan domestique ».
L’idée de brasser votre bière ou de fabriquer votre propre vin vous a peut-être déjà traversé l’esprit en regardant votre ticket de caisse à la sortie du Liquor Store. En face de la boutique de Rick trône un magasin dédié au brassage de la bière. Ouvert depuis 20 ans, il offre des kits d’installation ainsi que de nombreuses idées de recettes originales. Qu’à cela ne tienne, les amateurs de boissons houblonnées venant ici aiment également expérimenter leurs propres recettes.
Un peu plus loin dans la rue, Tom EastVin, dédié à l’auto-fabrication de vin, a ouvert voilà maintenant plus d’un an. Les gens qui viennent dans son commerce sont « des libres penseurs », comme Tom aime à les qualifier. Beaucoup d’artistes et de travailleurs indépendants fréquentent ce lieu. Attirés par le bouche à oreille, les clients viennent dans le magasin, sélectionnent le cépage souhaité, et n’ont qu’à ajouter les levures nécessaires à la fermentation du jus de raisin pour le mettre enfin en bouteille.
Tom, le propriétaire des lieux, a confectionné du vin pour d’autres pendant une dizaine d’années avant de lancer sa propre affaire. « Beaucoup de domaines sont faciles d’accès comme la cuisine ou certains travaux dans la construction, on peut rapidement y devenir expert avec une certaine dose de pratique » assure-t-il. Ce fils de fermier a toujours surveillé son alimentation avec attention avant de finir par lorgner sur le vin. « Je n’ai jamais compris l’intérêt du plat préparé, cher, fait avec des ingrédients pas sains et dont le résultat final est moins bon que si on l’avait fait soi-même » confesse-t-il. Même son groupe de musique, les Tall Brothers, semble s’être inspiré de cette vision pour leurs enregistrements. Loin des labels et autres majors, ils ont autoproduit leur album grâce à un ami leur proposant son studio. « Le manque d’argent est la raison principale mais on a une autre relation avec l’objet quand il provient de notre propre travail » conclut ce musicien-sommelier atypique.
L’autoproduction serait donc l’expression d’une philosophie de vie communautaire à la lisière des anciens sentiers battus. Celle d’une recherche du produit ou du goût sur-mesure que ne peuvent pas nous offrir nos grandes enseignes standardisées.
Plus qu’une question d’argent, l’autoproduction façonne ce que l’on consomme. Le temps passé à confectionner quelque chose peut donc altérer notre perception et notre relation envers cet objet. On peut savourer un bon vin, une bonne bière, un bon repas ou un bon album mais savoir que l’on a participé à son élaboration lui donnera toujours une saveur particulière.