La course au leadership du Parti libéral du Canada, qui tire à sa fin, a ceci d’intéressant qu’elle confronte la formation à la dure réalité de la fragmentation du vote au Canada. Ceci grâcieuseté de la candidate Joyce Murray, in-cidemment députée de Vancouver, qui profite de la plate-forme que lui offre cette campagne pour insister sur la nécessité pour les partis d’opposition de coopérer afin de bloquer la voie au Parti conservateur.
Ce que madame Murray propose fait l’objet de nombreuses discussions au sein du parti et chez de nombreux militants libéraux. Comme elle, plusieurs y voient la seule façon de briser l’emprise qu’a le Parti conservateur sur bon nombre de circonscriptions où la division des votes acquis aux opposants du régime en place lui permet de former le gouvernement. C’est du moins l’idée derrière cette hypothèse. En étant donc convaincue que la simple addition des votes recueillis par les partis d’opposition dans plusieurs circonscriptions où les conservateurs l’ont emporté par une faible pluralité assurerait la défaite de l’équipe conservatrice, Madame Murray pense avoir trouvé la formule gagnante.
Ainsi, elle propose de laisser aux membres du PLC dans les circonscriptions électorales le soin de choisir leur candidat, comme le veut la coutume, mais elle se garderait le droit de décider si la coopération avec le NDP et le Parti vert fait du sens. Je doute qu’un candidat libéral accepterait aisément de laisser sa place à un candidat choisi par un autre parti. Il y a tout lieu de penser que même si elle est élue chef, elle aura besoin d’arguments solides pour faire accepter cette façon de procéder à son parti.
Sa proposition de réforme démocratique ne s’arrête pas là. En fait, cette coopération ne serait en place que pour l’élection de 2015. Si lors de cette élection ce qu’elle appelle «les forces progressistes» prennent le pouvoir, une refonte de notre système électoral serait à l’ordre du jour. Elle reprend à son compte l’idée d’un système proportionnel. C’est vrai qu’à première vue cette idée séduit. Mais, comme ce système l’a souvent démontré, il tend à produire des parlements dans lesquels la majorité est plus difficile à obtenir. Le résultat est que les jeux de coulisses pour former des coalitions sont fréquents et tendent à produire des gouvernements fragiles. Prenez l’exemple de l’Italie qui, quoi que son système ne soit pas purement proportionnel, la situation actuelle a de quoi faire réfléchir.
Mais il faut l’admettre, elle propose un programme ambitieux qui pourrait changer profondément notre façon d’élire les députés et, par le fait même, notre démocratie. Tout ce débat est probablement plus académique que réaliste, puisque ses chances de l’emporter sont minces.
Il y a clairement deux camps sur cette question chez les libéraux. Dans le coin gauche, il y a Justin Trudeau, et dans le coin droit, madame Murray. Elle a fait de cette question un point de mire de sa campagne. C’est l’enjeu qui la distingue le plus de ses adversaires, surtout le grand favori Justin Trudeau.
Ce dernier rejette carrément l’approche prisée par madame Murray si convaincu est-il que le pouvoir reviendra à sa formation en temps et lieu sans avoir à le diluer par des accords de coopération. Il y du vrai dans son approche. L’électorat fini toujours par se lasser du gouvernement en place quel qu’il soit. Ainsi, suivant cette logique maintes fois prouvée, les électeurs concluront, un de ces jours, qu’il est temps de changer de gouvernement à Ottawa. Trudeau croit que si ce n’est pas en 2015, ce sera la prochaine fois. Il est prêt à attendre. S’il devient chef, il aura d’ailleurs les coudées franches en ce sens et pourra se permettre de perdre une élection sans s’attirer les foudres de ses militants.