En regardant autour de moi, je vois la pluralité partout : sur les campus universitaires, lors de voyages et dans nos activités sociales. En regardant de plus près, je me rends compte qu’elle est effectivement omniprésente : les toilettes de mon travail l’attestent.
Quelques jours après avoir commencé mon nouveau travail, je rencontre une femme que nous nommerons Clara. Après quelques échanges d’anecdotes en français, nos liens se forment rapidement, tissés autour de notre expérience commune. Elle est originaire du Québec et moi, Québécoise d’adoption pour avoir vécu une partie de mon enfance à Montréal, 20 ans plus tôt, lorsque ma famille avait immigré au Canada.
Notre amitié dépassant maintenant les limites de notre bureau, je me retrouve un jour, préparant un dîner chez Clara, à fredonner des chansons de Dubmatique, Éric Lapointe et Ginette Reno. Je ne peux m’empêcher de me demander si notre complicité aurait été aussi profonde sans notre histoire commune. Au-delà de l’attachement profond que nous éprouvons envers notre province d’origine, nous partageons l’expérience de tout expatrié, qui quitte le confort et la sécurité d’une langue, des traditions, de la famille et des amis, afin de s’aventurer dans un Ouest inconnu.
Plus tard, je croise Maricelle (prénom fictif également), dans les toilettes, une fois de plus. Quelque chose chez elle m’intriguait. Il ne s’agissait pas de la fréquence de nos rencontres à l’improviste – phénomène assez courant chez les femmes de notre bureau – mais de quelque chose de plus subtile. Les détails de cette première rencontre m’échappent. Avons-nous commencé par discuter de la météo ou échanger des astuces pour nos cheveux bouclés ? Nous nous sommes liées d’amitié en quelques minutes, en partie grâce à nos boucles, mais surtout, grâce à notre passé québécois, nos origines arabes et à notre joie à l’idée de pouvoir parler en français. Depuis, nos échanges quotidiens sont ponctués de blagues au sujet de l’accent québécois de Maricelle et de mes « étranges » expressions françaises. Regards perplexes et rires font toujours partie de nos discussions.
C’est dans la cuisine du bureau que je rencontre une autre personne partageant aussi mon expérience. La cuisine est un endroit propice aux rencontres car elle permet aux employés de divers départements de se rencontrer et d’échanger dans un contexte moins formel. Nous appellerons cette collègue Lina. Il y a quelques semaines, Lina, chef de produits au sein de la compagnie de technologie pour laquelle nous travaillons, fit la démo de notre tout dernier produit. Le jargon technique qu’elle employait semblait se mêler à un accent. Quelques jours plus tard, alors que nous nous affairons à couper chacune nos avocats bien mûrs dans la cuisine, je lui demande, motivée par le désir d’apaiser ma curiosité : « es-tu originaire de Vancouver ? ». Elle sourit et me répond qu’elle est de Toronto. Mon regard visiblement peu convaincu et peu impressionné l’oblige à se lancer timidement : « mais je parle également le français et l’arabe… Mes parents sont Palestiniens, mais j’ai grandi à Toronto et j’ai étudié le français à l’université ». Canadienne, francophone, d’origine arabe : ce jour-là, je fis la connaissance de ma soeur jumelle dans la cuisine de mon bureau.
Nous bavardons avec un tel enthousiasme, que seule une intervention à la hauteur de notre excitation pourrait détourner notre attention. C’est à ce moment que Maricelle entre dans la cuisine : « Lina je te présente Maricelle. Maricelle, Lina. ». Quelques minutes suffirent pour que nous formions ce trio singulier composé de Canadiennes francophones aux origines arabes qui ont fait de Vancouver leur terre d’accueil.
De cette rencontre fut née l’idée d’un groupe francophone au sein de notre entreprise et une invitation de Lina chez elle autour d’un délicieux repas, quoique non palestinien. À la place, nous mangerons des pierogis, plat qu’elle maîtrise après des années de vie commune avec son mari polonais.
La diversité au sein de mon lieu de travail est une pièce supplémentaire qui vient s’ajouter au puzzle de mon identité. Suis-je Française car née en France, Canadienne car le Canada est le pays où mes parents choisirent de poser leurs bagages ou Américaine pour avoir assister au bal de fin d’année et aux matchs de foot aux États-Unis pendant quatre ans ? Ou suis-je peut-être Albertaine pour avoir vécu plusieurs mois dans le nord de cette province? Les échanges quotidiens avec mes collègues aux origines tout aussi diverses démontrent que la diversité n’est pas source de confusion mais d’intérêt et de fascination. N’oublions pas qu’elle sert également de sujet à d’intéressantes conversations dans les toilettes au bureau.