La Colombie-Britanique, c’est le meilleur endroit du monde ! ». J’avais à peine posé les pieds à Vancouver après une absence de dix ans lorsque je fus absorbée par cette phrase. Dès le début, j’ai trouvé l’arrogance de cette affirmation choquante, et fus étonnée du nombre de locaux qui la répétaient avec fierté.
J’ai d’abord emménagé dans la région de Vancouver il y a près de vingt ans. Je suis arrivée avec ma famille depuis l’ancienne Yougoslavie, et je qualifie affectueusement cette ville de ma garderie canadienne. Bien que déjà adolescente à mon arrivée, cette vie s’annonçait être le début d’une nouvelle vie, un retour à l’enfance en quelque sorte.
Si j’ai toujours apprécié la beauté naturelle de Vancouver et son environnement culturel éclectique, je n’ai jamais pensé que l’aduler en la qualifiant de meilleur endroit du monde serait un moyen de rendre hommage à tous ses bons côtés. J’ai assisté aux premières loges à l’évolution de la Yougoslavie, un endroit beau et sécuritaire, et à sa désintégration à cause de l’effondrement économique et de la guerre.
Me trouvant à nouveau à Vancouver après dix ans passés en Ontario, j’ai rapidement été fascinée par l’obsession des Vancouvérois à vanter les mérites de leur ville d’une manière si éhontée, sachant que les Canadiens sont généralement connus pour leur autodénigrement. Certes, les montagnes et la mer sont belles, l’air y est plus pur que dans le reste du pays, mais il y a d’autres endroits sur Terre qui possèdent les mêmes caractéristiques, et pourtant ils ne se sont pas déclarés les meilleurs.
L’automne dernier, je suis allée à Cuba. Bien que ce ne soit généralement pas ma façon préférée de voyager, nous avons séjourné dans un hôtel sur Cayo Santa Maria, une île d’une beauté immaculée développée uniquement pour le tourisme, et donc soigneusement éloignée à la fois de la population cubaine et des réalités de leur vie. Je me suis vite sentie mal à l’aise face à la hiérarchie entre les touristes et le personnel.
Malgré tout, en dépit des défis auxquels mes amis cubains m’ont dit faire face, je n’ai jamais ressenti cette pitié condescendante que j’ai pu observer chez certains autres touristes, lorsqu’ils détournaient leurs yeux enivrés de la piscine juste assez longtemps pour rejeter toute revendication que Cuba pourrait avoir un statut de paradis. « Certes, la plage et la mer sont d’une beauté incroyable, mais regarde comme les gens sont pauvres. » Tels étaient les commentaires que j’entendais de mes compatriotes vancouvérois, tandis qu’ils posaient leurs cocktails en équilibre sur leurs gros ventres.
Et ces touristes occupés à se lamenter des conditions de vie cubaines en oubliaient la détresse des résidents du Downtown Eastside de Vancouver, le fait que la C.-B. remporte la première place au rang de la pauvreté infantile, et que la nouvelle génération survit à l’aide de travaux instables dans une ville où même payer son loyer peut relever de l’exploit.
Entretemps, mes nouveaux amis cubains avaient une vision beaucoup plus posée de leur propre pays que celle des touristes vancouvérois envers leur ville. Bien que leurs visages affichaient visiblement la fatigue, ils avaient tous une fierté confiante et calme dans la culture et l’identité cubaine. Je ne crois pas qu’un d’entre eux aurait qualifié Cuba de paradisiaque, et pourtant leur pays offre une éducation et un système de santé gratuits, un faible taux de criminalité et un mode de vie écologique – choses que nous ne pouvons qu’admirer depuis notre perspective privilégiée de Vancouver.
Par contre contrairement aux Vancouvérois, l’admiration des Cubains n’était pas simplement dirigée vers eux-mêmes. Ils étaient fascinés par Vancouver, et se demandaient à quoi les montagnes recouvertes de neige pouvaient ressembler, et idolâtraient un endroit auquel, ils ne pouvaient que rêver d’aller. Ils m’ont fait réaliser que ce besoin de paradis est peut-être la seule chose qu’un cubain et un touriste vancouvérois ont en commun ; le premier rêvant de Vancouver et du Canada comme d’un endroit parfait, et le dernier déjà convaincu de la vérité intrinsèque de cette idée. Cependant, les deux attitudes dénotent une certaine insécurité, la notion inconsciente que les deux sociétés ont des problèmes et des difficultés à les résoudre.
En ce qui me concerne, je pense qu’afin d’aimer vraiment un endroit, nous devons accepter de le voir dans toute sa complexité, et non pas comme un fantasme projeté. Réalisant pendant mon voyage que le besoin d’idéalisation est partagé et par les Cubains et par les Canadiens, j’ai retrouvé une tendresse pour les deux cultures – sentiment qui suffit à définir mon idée du paradis.
Traduction Coralie Tripier