Cela ne vous a-t-il jamais étonné de découvrir un magasin de longboard à Chinatown? Que vous répondiez oui ou non, ce genre de commerces démontre bien le processus de modernisation du quartier lancé depuis quelques années. Le Vancouver Design Bureau propose une réflexion autour de cette évolution pour sa dernière exposition Made in China(town). Tenue au Vancouver Chinese Garden tout au long du mois de juin, elle vise, à travers diverses œuvres d’art, à attirer l’attention sur le défi entre la modernisation et la préservation d’un site historique.
Un phénomène social
L’exposition Made in China(town) réunit une quinzaine d’artistes, dont les studios sont basés dans le quartier de Chinatown. À travers l’art, chacun s’exprime sur la révolution urbaine que ce quartier connaît aujourd’hui. Le thème de cette exposition prend sa source dans un phénomène social propre à l’évolution récente de Chinatown : des commerces non-chinois, non-traditionnels, ouvrent dans ce quartier longtemps perçu comme la ville chinoise de Vancouver. Simultanément, on assiste à la fermeture de plus en plus de petites boutiques créées par la population immigrante chinoise il y a de cela plusieurs générations.
Pour Andy, qui travaille au Chinese Cultural Centre situé en plein cœur du quartier, ces fermetures s’expliquent par le fait que l’on manque d’une jeunesse fraîche et vivante pour prendre le relais de leurs aînés, devenus trop âgés pour diriger leurs commerces. « Les jeunes chinois d’aujourd’hui se dirigent vers Richmond ou Burnaby pour le travail. Ils pensent trouver là-bas de meilleures opportunités économiques qu’à Chinatown. »
Cet enjeu soulève donc une faille dans la transmission des valeurs des parents aux enfants. Au cœur de cette problématique, la jeunesse actuelle. Bercée dans les discours consuméristes d’une société où l’argent est plus que jamais vénéré, nul doute que cette génération se tourne vers des carrières promettant un style de vie plusluxueux.
« Ils vont là où il y a de l’argent. Ils veulent devenir riche et cela, très rapidement. Ils veulent tout, tout de suite», déplore Nick, d’origine malaisienne et propriétaire de son salon de coiffure dans le quartier Chinatown depuis trente-cinq ans.
Par ailleurs, les immigrants chinois ne choisiraient plus Chinatown pour y vivre et s’installer lorsqu’ils arrivent à Vancouver. Le nombre d’habitants n’augmente plus. « Auparavant, les immigrants chinois s’installaient dans notre quartier communautaire. Aujourd’hui, ils optent pour Richmond car la ville est plus moderne, » explique Andy.
Pour Diane Esperitu, artiste de l’exposition Made in China(town) d’origine non-chinoise ayant ouvert son studio à Chinatown, un changement du quartier est « inévitable ». Toutefois, elle soutient que les transformations ne pourront pas se faire sans un certain respect de son histoire : « nous ajouterons simplement notre culture à la culture chinoise du quartier. »
Moderniser, c’est détruire
« Notre quartier est en train de mourir, » déclare Andy. Un sentiment de perte partagé par d’autres habitants et commerçants. « Ils ont déjà construit un nouvel immeuble dans le quartier », raconte Nick. « Comment cela est possible d’avoir un immeuble moderne dans un Chinatown ? Petit à petit, ils vont détruire toutes nos anciennes façades, il n’y aura plus de Chinatown. Et qui parlera de notre histoire ? Les jeunes ? Ils ne parlent qu’à leurs ordinateurs ! » ironise-t-il.
L’histoire de Chinatown, c’est aussi l’histoire d’un Canada pas si ouvert aux communautés et tolérant qu’il ne l’est aujourd’hui. En effet, il est le témoignage de la discrimination que subissaient les immigrants chinois en s’installant au Canada. En voulant s’installer à Vancouver, ils avaient été placés, ensemble avec d’autres immigrants, dans ce quartier.
« Raser ce quartier, c’est jeter aux oubliettes cette partie de l’histoire, si cruciale pour jouir de nos droits et libertés aujourd’hui. Cela nous rappelle les erreurs de notre passé et nous met en garde de ne pas les répéter, » soutient Andy.
En dépit de toutes ces circonstances, les habitants et commerçants restent confiants dans l’idée que l’âme du quartier chinois sera toujours là.
« Je veux tout de même garder l’espoir que le Chinatown perpétuera à travers les nouvelles générations. » livre Nick. C’est dans cette même volonté que le Vancouver Chinese Garden insuffla au Vancouver Design Bureau les thèmes de préservation et de modernisation culturelle pour leur exposition. Comme le dit le proverbe chinois : « la plus grande faillite de l’homme est le désespoir, son plus grand trésor se trouve dans ses espérances. »
Made in China(town)
Du 2 au 29 juin 2013
Vancouver Chinese Garden
578 Carrall St, Vancouver
604 662 3207