Onze mois et quelques jours, depuis que ma famille et moi-même avons posé nos valises à Vancouver. C’est comme ci c’était hier… ! Je me souviens encore de cet instant où nos regards se sont croisés, elle et moi ! Je l’ai dévisagé, à cœur ouvert, en l’épiant presque, palpant ses émotions envers moi … Cette ville, classée parmi les plus belles et les plus chères au monde, allait-elle m’accepter ?
Autant de questions, de préoccupations qui tournoient dans ma tête, à la fois à demi-engourdie par 21 heures d’avion, mais également empreinte d’une lucidité de Sherlock Holmes ! En quelques minutes, j’allais faire mon diagnostic…
La cordialité du personnel de l’immigration qui se composait d’une mosaïque de culture était rassurante. Un amical échange s’enclenche entre les préposés et les nouveaux immigrants. La très chic jeune dame d’origine sikh avait l’air aussi efficace que son voisin de comptoir, un jeune japonais qui était multilingue. Toutefois, c’est le grand blond, probablement d’origine slave qui s’occupera de nos formalités d’immigration. En un clin d’œil, nous nous dirigions vers la sortie où une hôtesse bénévole quadragénaire chinoise nous souhaitait la bienvenue…. Oui, j’aimerais cette ville avec toute la force de mon âme…
« Étonnant », me dit mon mari, alors que nous traversions la ville. .. « On se croirait en Australie » Eh oui, si on m’avait mis un bandeau sur les yeux avant, j’aurais juré que nous étions en terre australienne… tellement la ressemblance était frappante. Ce ne sont pas seulement ces vastes étendus d’espace verts, ces grandes autoroutes qui n’ont point d’horizons, mais ce qui jumelle ces deux continents, tous deux terre d’immigrants, ce sont leurs cultures construites sur la diversité…
Et pourtant, après presque une année, je me pose toujours la question : Où suis-je ? C’est un peu le même sentiment qu’Alice avait dû ressentir en se trouvant au pays des merveilles…! Je suis souvent réveillée la nuit par les youyous percutants de mes voisins qui rentrent d’un mariage irakien… De la musique arabe résonne dans tous les murs de l’immeuble qui a pour la plupart des locataires des réfugiés irakiens catholiques. C’est une petite communauté très soudée, qui ne communique qu’avec les leurs. Est-ce de par leur culture ou est-ce le processus de cicatrisation d’après-guerre…? Si les aînés qui ne parlent ni anglais, ni français ont l’air heureux de leur nouveau quotidien, ce n’est rien à côté des sourires éclatants des petites filles qui, les dimanches après-midis, s’entortillent à cœur joie dans leur oulaoup sur la pelouse. Je les croise souvent dans les escaliers. Cartables et livres de classe étalés sur les marches, c’est leur lieu de rencontre les après-midis pour les devoirs. Elles parlent un anglais impeccable, sans accent. Il est évident que leur pays d’accueil leur fait du bien et elles ne sont plus sous l’emprise de la peur.
Comme Alice, je vais de surprises en surprises… les messes dans les églises ont plusieurs versions… On choisit d’y assister, selon sa langue : philipin, hongrois, vietnamien, roumain, . Comme s’il s’agissait de cartes de restaurants… Cette ville vibre sous l’effervescence de sa culture… Il y a quelques semaines de cela, j’assistai au vaisakhi, fête culturelle de la grande communauté sikh…. Les rues étaient pleines à craquer ce samedi… musique, friandises, plats végétariens dont les succulents naan (pains traditionnels) et du paneermakhani étaient en surabondance… Les passants, toutes communautés confondues se servaient à volonté. Certes, un témoignage de convivialité, de reconnaissance et d’amitié envers le pays d’accueil. Bel exemple à suivre que je me dis! J’enregistre la scène discrètement dans le carnet de ma mémoire…
Je viens d’une île lointaine où mes ancêtres ont connu le colonialisme. Même si un pays retrouve son indépendance, les stigmates ne s’effacent jamais! Je me rends compte que cette ville regorge de citoyens de parcours similaires. Outre mes voisins irakiens, j’ai récemment lié amitié avec une jeune immigrante d’origine congolaise, que je nommerai Blanche. Orpheline de parents tués à la guerre, elle fut livrée à son sort et a grandi en un jour. Elle m’a avoué avoir retenu la leçon que si la vie est dure, elle trace parfois des destins inimaginables. Alors qu’elle faisait le ménage et préparait ses repas à 7 ans, elle cumule aujourd’hui deux emplois : celle d’infirmière dans un hôpital de gérontologie et hôtesse de l’air pour l’une des compagnies d’aviations canadiennes. Comme dans la chanson de Jean-Jacques Goldman, Blanche aurait fui son pays pour retrouver la liberté et un continent sans grillages, là où tout est neuf et où les rêves ne sont pas étroits….
Cette ville offre des perspectives étonnantes. J’ai constaté également que l’optimisme est très prononcé dans la culture vancouvéroise. Et même si l’or n’est pas à portée des doigts, les rêves le sont… ! Ainsi, Karine (prénom fictif également) vient de reprendre sa carrière à l’âge où d’autres partent en maison de retraite… Collègue de Blanche, elle vient de prendre son uniforme de membre d’équipage !
Où suis-je ? Je suis tout simplement à Vancouver, où j’ai l’impression de vivre dans une arche de Noé culturelle….