Double Zero: Une complicité artistique autour du Japon

Basés à Vancouver, Jeremy Isao Speier et Junichiro Iwase utilisent l’art comme médium pour avancer une vision nouvelle, mais personnelle. Un jeu à deux qui se croise et s’oppose. Des enjeux contemporains qui nous parlent, mais avec une forte influence de leur pays d’origine et de son histoire, le Japon. Double Zero: The Point Between Future Past est l’exposition actuellement présentée au Nikkei National Museum and Cultural Centre du 14 juin au 1er septembre 2013.

Dualité et contraste sur une ligne de temps

Made in Japan 13, une sculpute par Jeremy Isao Speier | Photo par Jeremy Isao Speier

Made in Japan 13, une sculpture par Jeremy Isao Speier | Photo par Jeremy Isao Speier

Ayant pour la majeure partie de leur vie grandi au Canada, Speier et Iwase ont tous deux nourri un intérêt pour un pays et une culture qui leur étaient identitaires. Les deux artistes, aux parcours différents, désirent avec leurs médiums parfois complexes faire valoir des enjeux sociaux auxquels nous sommes confrontés. Double Zero est le fruit d’une collaboration nouvelle qui laisse une impression de contrastes épurés, qui toutefois coulent parfaitement l’un dans l’autre : « c’est comme le yin et le yang », note Iwase.

« Ce qui nous marque au premier regard », raconte Beth Carter, conservatrice de l’exposition, « c’est le contraste des surfaces solides et fragiles, des formes circulaires et linéaires, des matières organiques et technologiques, du sérieux et de l’humour ». Mais en tant que spectateur, avec de l’attention, on remarque qu’il a un chevauchement. Comme explique Speier : « j’utilise dans mes sculptures du bois de cèdre qui est très mou, tandis que les coquilles d’œufs d’Iwase pourraient être considérées comme étant solides, et bien que mes formes sont carrées et linéaires, les mécanismes cinétiques que je fabrique créent des mouvements circulaires ». « J’aime bien penser au travail de Jeremy comme à des petits cerveaux, comme s’il s’agissait des têtes détachées des corps que je fabrique » commente Iwase. En fait, « c’est comme une espèce de Frankenstein! », rigolent les deux artistes.

Coquilles d’œufs

Pour Iwase il s’agit d’un seul médium : des coquilles d’œufs minutieusement déposées sur des corps moulés. Un habillage esthétique qui nous rappelle la couleur des os, la fragilité de ce qui nous recouvre, tout comme la force de notre corps. C’est en retournant vivre au Japon, dans un espace restreint et dispendieux, qu’Iwase a réalisé à quel point la sculpture lui manquait : « Je faisais une série d’animations aux yeux tridimensionnels et je n’avais que des coquilles d’œufs ». Mais l’idée est aussi de remettre en question l’usage des matériaux traditionnels: « j’aime repenser le matériel, utiliser des matériaux qui sont considérés dans notre société comme inutiles », explique Iwase.

« Je n’essaye pas de trouver un sens à ce que je fais, mais j’ai besoin de sentir un objectif, en évitant le gaspillage » insiste l’artiste. C’est pour cette raison que chaque semaine Iwase se rend dans une cuisine du Downtown Eastside pour briser les œufs lui-même : « les coquilles d’œufs sont fragiles, mais donnent de l’espoir! » .

Notion du temps et mémoire perdue

Moonwalker, par Junichiro Iwase | Photo par Junichiro Iwase

Moonwalker, par Junichiro Iwase | Photo par Junichiro Iwase

Tandis que le travail d’Iwase se concentre sur le moment présent, Speier met plus d’emphase sur l’espace temporel et le matériel oublié. Tout comme Iwase, l’idée est de remettre en question le matériel utilisé mais rapidement délaissé. Le Japon à la fin des années 70 était le premier producteur d’électroniques, ce qui lui a d’ailleurs permis une rapide industrialisation. Énergie cinétique, technologie digitale, ces objets « made in Japan » font maintenant partie d’un passé que Speier tente de nous rappeler.

Imbriqués dans des cadres de bois, superposés sur de vieilles photographies du Canada, ces mécanismes reflètent une conversation plutôt personnelle que l’artiste engage avec son art, et son identité à la fois japonaise et canadienne. « Il s’agit d’un travail archéologique, tous les objets trouvés sont issues d’un quartier industriel près de mon studio où je travaille depuis plus de vingt ans », raconte l’artiste. « Avec mon travail, je veux faire valoir les couches historiques des cultures oubliées, qui peuvent être aussi interprétées par la rapide gentrification que subissent nos villes », explique Speier.

Littéralement situé au cœur des anciennes communautés japonaises maintenant disparues, dans un quartier résidentiel de Burnaby, le Nikkei National Museum and Cultural Centre se consacre à l’importante contribution des Canadiens d’ascendance japonaise. Aux travers d’expositions et de programmes variés, le centre désire mettre en avant l’histoire riche de cette communauté, mais aussi la réfection actuelle de jeunes artistes contemporains. « Il y a tellement de jeunes artistes sino-canadiens talentueux que le centre encourage les expositions de groupes », raconte Beth Carter. Mais pour Carter, qui connaissait le travail individuel de chaque artiste, il s’agissait surtout d’une intuition : « je voulais qu’ils se rencontrent et travaillent ensemble».

Ce dialogue entre les deux artistes est le fruit de deux années de travail à trouver un point commun. Mais pour et Speier et Iwase il s’agit d’une expérience positive : « l’exposition reflète le coté expérimental de notre collaboration, c’est un résultat final et unique avec lequel nous avons eu beaucoup de plaisir », conclut Speier.

Double Zero: The Point Between Future Past
Du 14 juin au 1er septembre Nikkei National Museum and Cultural Centre
centre.nikkeiplace.org/double-zero