Livre de Jean Régnaud et Emile Bravo, Gallimard, 2007
Vendredi 13 septembre 2013, VanCity Theatre à Vancouver : première nord-américaine du long-métrage d’animation de Marc Boréal Ma maman est en Amérique et elle a rencontré Buffalo Bill, adapté de l’ouvrage éponyme à la croisée entre la bande dessinée et l’album de Jean Régnaud et Emile Bravo. Un petit bijou d’animation, à la fois pétillant et émouvant, porté par les voix de l’actrice française Julie Depardieu et du chanteur français Marc Lavoine, qui interprète également la chanson phare du film Avec Buffalo Bill. La projection m’a tellement enthousiasmée que dès le lendemain, je me suis procuré l’oeuvre originale, parue en 2007 chez Gallimard. Et ce fut un véritable coup de coeur…
Septembre 1970 dans une petite ville de province française : c’est la rentrée des classes « à l’école des grands » pour Jean, un petit garçon de 6 ans qui vit avec son papa, son petit frère et sa nounou Yvette, qui vient chez eux tous les jours.
Il ne connaît personne et est très nerveux. Mais la véritable angoisse surgit quand vient le temps des présentations et que la maîtresse lui demande la profession de son papa et de sa maman. Que va-t-il pouvoir bien dire ? Car Jean ignore où est sa maman…jusqu’au jour où il reçoit une carte postale d’Amérique…
La première raison pour laquelle l’histoire de Ma maman est en Amérique et elle a rencontré Buffalo Bill touche autant, est qu’elle sonne très vraie, tant du point de vue des personnages, tous plus attachants les uns que les autres, que du cadre du récit, entre l’école et la maison.
Chacun, petit ou grand, pourra se reconnaître ou reconnaître quelqu’un dans ces personnages, qu’il s’agisse du petit frère facétieux, du papa esclave de son travail et rongé par la solitude, ou bien sûr de Jean, qui fait sa rentrée dans une nouvelle école où il ne connaît personne. De même, les situations qu’ils vivent au quotidien – les chocolats chauds du goûter, les bêtises avec les copains, les chamailleries entre frangins, raviveront les souvenirs de plus d’un ! Bref, cela fleure bon l’enfance. Les adultes y trouveront aussi leur compte grâce à la délicieuse ambiance des années 70. Comment, en effet, ne pas se sentir nostalgique à l’évocation des parties de billes, des « pattes d’eph », des magasins Mammouth, et de la télévision en noir et blanc ?
Mais au-delà de cette apparente candeur et bien que plus de trente ans nous séparent de l’époque du récit, Ma maman est en Amérique et elle a rencontré Buffalo Bill aborde des questions qui restent plus que jamais d’actualité, telles l’angoisse de se sentir autre, les différences culturelles (avec le petit enfant musulman), la recherche identitaire ou l’intimidation à l’école.
Mieux, les auteurs réussissent le pari d’aborder des thématiques universelles sensibles et graves – la mort d’un être proche, les tabous familiaux – avec beaucoup de tendresse et d’humour, sans jamais accabler le lecteur. Cela résulte en grande partie du trait rond, simple et épuré d’Emile Bravo, qui, à travers ses dessins très colorés et une grande fraîcheur, emporte le lecteur dans un va-et-vient original à la frontière – souvent brouillée – entre le monde réel et l’imagination de Jean, qui le mènera du rire aux larmes. Ce faisant, il nous donne à voir le monde des adultes à travers les yeux innocents et naïfs d’un enfant qui nage entre les non-dits et les incompréhensions et lutte pour y trouver un sens.
Au final, c’est un récit d’apprentissage – d’ailleurs partiellement autobiographique – que nous offre le duo Régnaud-Bravo, un récit du cheminement hors de la naïveté de l’enfance vers la prise de conscience de la réalité parfois cruelle du monde des grands. Les auteurs distillent avec brio des indices qui mettent peu à peu le lecteur sur la voie quant à ce tabou qui entoure la famille de Jean, notamment à travers les cartes postales des quatre coins du monde que l’enfant pense recevoir de sa maman, tout en laissant leur personnage tâtonner jusqu’au dénouement.
Cette bande dessinée s’illustre comme une vraie réussite et s’adresse aussi bien aux jeunes enfants qu’aux adultes, qui tous, à leur niveau y trouveront leur compte. Une bouffée d’oxygène dans notre monde trop pressé dont on aurait tort de se priver !