Trois pays représentent les différentes étapes de ma vie : les Philippines, le Japon et le Canada. Née d’un père philippin et d’une mère japonaise, j’ai passé les vingt premières années de ma vie aux Philippines. Je vivais au sein d’une communauté de la haute société philippine dont la culture me paraissait plus déroutante qu’amusante. De l’aide ménagère à plein temps, au chauffeur à disposition, tout était là pour répondre à mes moindres besoins, sans que j’y réfléchisse à deux fois ou que je me demande si ce mode de vie était normal.
Mais des questions, je m’en posais constamment.
J’étais une petite fille timide au sein d’une communauté fermée de Manille. Ma mère m’a appris à parler, lire et écrire en japonais et m’a aussi enseigné certaines des traditions culturelles fondamentales : les cérémonies du thé, les compositions florales ikebana et la fête des poupées, pour n’en citer que quelques-unes.
Je les ai vues de mes propres yeux lorsque chaque été je me rendais au Japon suivre des cours dans une école publique. Plutôt atypiques comme vacances. Aussi étrange que cela paraisse, c’était pourtant là que je me sentais la plus libre. Je retrouvais mes amis qui m’accueillaient chaleureusement chaque année, je perfectionnais mon japonais en leur compagnie et leur culture devenait mienne.
Il ne m’a pas fallu longtemps pour trouver du réconfort dans cette société japonaise, où la discipline va de soi. Qu’il s’agisse de se déplacer en transports ou de rencontrer des amis, les japonais sont instinctivement ponctuels et organisés. Pour moi, ce pays était l’opposé des Philippines.
Après des années d’allées et venues, j’ai pris la décision de partir étudier à Tokyo. Émue par ce nouveau départ, je n’avais pas encore conscience des différences culturelles auxquelles j’allais me confronter : la foule aux heures de pointe, le keigo – les règles de politesse nipponnes – … À ma grande surprise, j’étais loin de maîtriser la culture de cette société et sa célérité.
Je savais que je devais faire des efforts pour m’adapter et ces quatre années universitaires m’ont permis d’y parvenir. Lentement mais sûrement, j’ai progressé en keigo, gagnant ainsi la confiance de mes amis japonais et cessant d’être une étrangère à leurs yeux. Finalement, lorsque la mise en scène du spectacle de fin d’année de mon groupe de danse m’a été confiée, j’ai compris que je m’étais intégrée.
Mes années d’études ont passé en un clin d’oeil. Je me croyais prête à rejoindre le monde du travail. La réalité était bien loin de ce que j’avais imaginé.
Alors que je pensais m’être enfin adaptée à la culture japonaise, au lieu d’y réussir, j’y survivais à peine. L’université m’avait protégée de ce stress omniprésent et du système d’étiquette hyper-hiérarchisé auxquels je ne pouvais plus échapper. La densité urbaine de Tokyo a été la goutte qui a fait déborder le vase.
Après quelques mois de méditation et de réflexion approfondie, j’ai pris la décision sur un coup de tête de partir à Vancouver, la ville de mon compagnon. Un choix inattendu, mais une courte visite préalable m’a suffit. Cette ville m’a séduite par son air pur, ses grands espaces, ses magnifiques paysa-
ges de plages et de montagnes ainsi que sa population hétérogène et je suis résolue à y bâtir mon avenir.
Ma vie est un voyage culturel permanent et je ne sais ce que me réserve l’avenir. Ce dont je suis sûre, c’est que le Canada et sa culture vont faire de moi celle que je serai demain.
Traduction Marie-Noël Campbell