Quand Chinatown renaît de ses cendres

Lampions rouges, dragons sculptés, odeur de poisson séché abondent dans les rues de Chinatown. Au-delà de l’apparence quasi universelle des quartiers chinois à travers le monde, celui de Vancouver recèle bien des curiosités. Depuis quelques années pourtant, la pression monte dans le deuxième plus grand quartier chinois d’Amérique du Nord avec la multiplication des panneaux « à louer » ou « bail à céder ».

La gentrification à l’œuvre

Jeune entrepreneur canadien, Clinton a saisi la balle au bond et a ouvert un restaurant de currywurst en plein cœur du Chinatown. Designer dans l’âme, il a retapé une ancienne échoppe de vinyles. Les signes en mandarin laissés volontairement sur la devanture attestent de la vocation première de la boutique.

« Chinatown se meurt à petit feu, mais nous participons à le faire évoluer », avance-t-il. Avec la part des plus de 60 ans en constante augmentation et le départ à la retraite des commerçants, le quartier décline. « Les jeunes ne viennent plus acheter ici et les nouveaux migrants délaissent cette partie de la ville », confirme Toni McAfee, responsable du musée au Centre culturel chinois de Chinatown. Elle voit d’un bon œil l’arrivée de ces jeunes entrepreneurs non chinois : « Plus il y a de raisons de venir ici, mieux c’est. »

Elle tempère rapidement son propos : « Mais nous ne voulons pas que Chinatown perde de son caractère ; sa valeur historique est inestimable. »

Allier modernité et patrimoine, telle est la vocation de Joe Wai. Architecte depuis 42 ans et originaire de Hong Kong, il a mené de nombreux projets dans le quartier : le Millenium Gate, le jardin du Dr Sun Yat-sen, ou encore le Centre culturel chinois. « Mon espoir est que le caractère de Chinatown reste reconnaissable », partage-t-il. Ses yeux s’illuminent à l’évocation du bâtiment à l’angle de Pender et Carall street. « Au-delà du défi que représentait la rénovation d’un bâtiment vieux de 100 ans, nous souhaitions honorer l’histoire qu’il incarne. » Le dernier étage abritait en effet la loge des francs-maçons chinois, qui a soutenu la révolution de 1911 mettant fin à la Dynastie des Qing au pouvoir depuis 268 années.

Joe Wai, architecte, à Chinatown. Photo de Joe Wai.

Joe Wai, architecte, à Chinatown. Photo de Joe Wai.

L’âge d’or de Chinatown

Le dynamisme associatif du quartier trouve ses racines dans l’histoire même de sa constitution. Cette enceinte créée par les colons britanniques à la fin de la ruée vers l’or et de la construction du chemin de fer Canadien Pacifique empêchait les travailleurs chinois de se disséminer dans la ville. Suite à de nombreuses mobilisations, la loi sur l’exclusion fut abolie en 1947, l’effort militaire des Chinois pendant la guerre reconnu, la citoyenneté et le droit de vote attribués. Avant l’arrivée des discothèques dans les années 1960, les maisons de jeu, les bars de nuit, les fumeries d’opium fleurissaient. « Beaucoup de visiteurs venaient le week-end, Chinatown est devenu à cette époque partie intégrante de Vancouver », se souvient Joe Wai. Mais l’arrivée de milliers de migrants hongkongais va bouleverser la donne. « Les arrivants de Hong Kong sont très différents et ont façonné une culture propre à Richmond, en marge de Chinatown », témoigne-t-il.

Chinatown est devenu lieu historique national du Canada en 2011. Photo par Alice Dubot.

Chinatown est devenu lieu historique national du Canada en 2011. Photo par Alice Dubot.

Richmond, le nouvel eldorado chinois

Avec 65% de la population d’origine asiatique, Richmond est devenu le nouveau Chinatown. Dans les années 1970, des milliers de Hongkongais profitent de la loi de la citoyenneté par investissement pour tenter leur chance à Vancouver. Leur mentalité est fort différente de celle des premiers migrants et leur conception du succès passe par la réussite entrepreneuriale. Pour la majorité fortunés, ils s’installent à Richmond, qui s’entend « rich man » avec l’accent chinois. Sans nul doute pour eux, le nom du quartier sera de bon augure. Toutefois comme le souligne Toni, ils n’ont pas l’habitude de verser de l’argent à des œuvres caritatives, le fossé ne cesse alors de se creuser entre anciens et nouveaux migrants. « Pour autant, les partenariats que nous tissons avec UBC et SFU lors de festivals chinois laissent penser que les traditions vivent encore », se réjouit-elle. Et Joe Wai de se féliciter : « Avec Chinatown devenu lieu historique national du Canada en 2011, c’est désormais compliqué de démolir le quartier. » En attendant qu’il retrouve son âge d’or, Clinton ouvre désormais boutique jusqu’à trois heures du matin le weekend.

Comme le dit le proverbe chinois : « Il est plus facile de déplacer un fleuve que de changer son caractère. »