Troisième volet de notre série culturelle, La Source décrypte ici les origines de la présence japonaise à Vancouver.
Le foisonnement de restaurants de sushis dans les rues de la ville de verre laisserait penser que la communauté japonaise s’inscrit paisiblement et depuis fort longtemps dans le paysage urbain. Or, c’est oublié que 80 % de ces restaurants sont tenus par des non Japonais, et surtout, que Japantown, actuellement le Downtown Eastside, a été rasé de la carte.
L’ennemi public n°1
Si depuis l’arrivée des premiers migrants japonais en 1868, la discrimination menée par une société à prédominance blanche sévissait, l’attaque japonaise contre la base militaire américaine de Pearl Harbour en décembre 1941 a permis de justifier les excès de haine et de persécution à l’encontre de la communauté.
Le slogan « No Japs from the Rockies to the seas » arboré par la Colombie-Britannique a conduit à l’internement de 22 000 Canadiens d’origine japonaise dans des camps de fortune, reclus et isolés à plus de 160 kilomètres des côtes. Quelques 4 000 personnes choisirent de s’exiler au Japon, leur pays d’origine qu’ils n’avaient alors jamais connu.
Avec la confiscation de tous leurs biens, Japantown devînt un village fantôme. « Les progrès de la communauté ont été brutalement anéantis et tout leur a été enlevé, puis vendu », témoigne David Iwaasa de l’Association japonaise des volontaires communautaires. Il a fallu attendre 1949 pour que les Canadiens d’origine japonaise obtiennent le droit de revenir sur la côte…sans rien à l’arrivée.
La détresse sociale des personnes souvent âgées revenues à l’ancien Japantown a inspiré la création de l’association en 1974. « Nous nous concentrons sur les besoins sociaux et émotionnels des communautés, en favorisant l’interaction sociale »,explique David Iwaasa. Au travers d’ateliers de calligraphie ou de danse japonaises, les traditions servent de prétextes pour renouer le dialogue au sein de la communauté décimée. « Les deuxième puis troisième générations ont tout fait pour s’assimiler et éviter ce qui avait trait à la culture nippone. En cela nous avons très bien réussi à devenir invisible », raille-t-il.
Un combat pour les droits humains
Dans les années 1980, l’Association nationale des Canadiens d’origine japonaise se mobilise autour de la reconnaissance des torts commis contre les Japonais entre 1942 et 1949 et l’obtention, chose rare à l’époque, de réparations financières individuelles.
En septembre 1988, elle obtient gain de cause. Les fonds versés à la Fondation du redressement permettront de construire les différents centres culturels nippons à travers le Canada. Le musée national Nikkei de Burnaby en fait partie. « C’est grâce au redressement que nous existons », glisse Nichola Ogiwara, la programmatrice du musée. Et d’ajouter « ces fonds ont permis de faire revivre notre histoire et de la transmettre aux jeunes générations ». Présentement, l’exposition itinérante A Call for Justice : Fighting for Japanese Canadian Redress (1977–1988) s’inscrit dans cette lignée, célébrant par la même occasion le 25e anniversaire de l’Entente de redressement.
Ode à Japantown
La communauté japonaise de Vancouver a également son musée à ciel ouvert. Le projet Open Doors rend hommage aux bâtiments de l’ancien Japantown et à ses habitants.
D’avril à août 2011, l’artiste Cindy Mochizuki a élaboré des panneaux retraçant l’histoire du quartier, sous l’égide de la Société du Festival Powell Street, du musée national Nikkei et du Great Beginnings Project de la ville. « Il s’agissait de créer une mémoire graphique du quartier, de s’inspirer de son histoire afin d’ouvrir le dialogue », commente Cindy.
De l’encre noire sur calque, aux traditionnelles cartes florales japonaises, aux finitions en mosaïque, les éléments de la culture nippone se chevauchent. Une superposition d’estampes, en transparence, qui laissent deviner le cheminement du quartier et les pans de vie balayés par le passé.
Issue de la quatrième génération, Cindy relate que cette histoire fait partie de son identité culturelle : « en tant qu’artiste, c’est quelque chose qui revient toujours à moi, un contenu pour lequel je dois trouver un sens en permanence. » Ce sens, David Iwaasa l’adresse aussi, dans un message à portée universelle : « J’ai espoir que notre combat pourra servir de modèle et inspirera d’autres communautés victimes d’injustices afin d’obtenir la reconnaissance et la compensation financière qu’elles méritent. »
Dans sa prochaine édition, La Source retracera les origines de la présence italienne dans la cité de verre.