Qui ne s’est pas déjà retourné en entendant le bruit d’un moteur vrombissant sur l’asphalte ? Qui ne s’est pas déjà arrêté pour admirer un bolide ostensiblement garé sur le côté de la route ? Cette attirance pour les modèles de luxe est tout à fait compréhensible et acceptée. Mais lorsque l’on y associe un comportement enfantin, le mélange ne fait pas bon ménage. A Vancouver, comme ailleurs.
Sans jeu de mots, c’est un fait divers qui a fait du bruit dans les médias locaux. Septembre 2011 à White Rock, dans le district régional du Grand-Vancouver, la police saisit plus d’une dizaine de voitures. La cause ? Une course de rue organisée illégalement par plusieurs jeunes chinois au volant de véritables bolides. En mai dernier, rebelote. Ces jeunes hommes se comportaient comme s’ils se trouvaient dans le jeu vidéo Need For Speed ou dans le film Fast & Furious. Si les références peuvent prêter à sourire, elles méritent que l’on se penche plus amplement sur la question pour comprendre ce phénomène social qui touche la très jeune frange sino-vancouvéroise.
Des jouets pour tout âge ?
« Ce n’est pas tant pour provoquer, mais pour se sentir vivant. » En quelques mots, Xiang, jeune asiatique de Richmond, vient de toucher un point crucial. Au vu de la croissance économique en Chine nombre de jeunes chinois issus de la seconde génération d’immigrants, désormais à l’abri du besoin, ne savent plus comment tromper l’ennui. Le proverbe « abondance de biens ne nuit pas » se trouve malmené.
A 23 ans, ce jeune homme d’apparence calme et posée avoue sans détour que les courses en pleine ville n’ont d’autre but que de se mesurer à ses amis : en somme, c’est un jeu comme un autre. Mais au-delà d’une transgression des règles, ne peut-on pas y voir un reflet de la culture américaine ?
Avec le développement de sociétés spécialisées dans les services et produits de luxe, la Chine est devenue un pôle incontournable de la consommation mondiale. Ce n’est pas un hasard si Xiang et ses amis font ces courses de rue. Ils sont d’autant plus influencés par le modèle consumériste américain qu’ils vivent à côté.
Posséder pour exister
Les ventes de voitures de luxe ne cessent d’augmenter alors que nous sommes en période de crise économique. La raison est simple : l’écart qui se creuse entre les plus aisés et les plus démunis est croissant. « Posséder c’est exister » nous confie un concessionnaire de la rue Burrard.
J’ai sondé quelques clients potentiels : A la question « vous offririez-vous une voiture de luxe si vous en aviez les moyens et pourquoi ? », huit personnes sur dix m’ont répondu par l’affirmative et ont ensuite avancé quelques banalités. Parmi lesquelles reviennent « faire envie aux autres » ou « montrer notre réussite. » Voilà qui laisse peu de place au doute. Le luxe attire et permet de se démarquer.
Entre une Maserati à 120 000 $, une Nissan GT-R à partir de 90 000 $ et une Lamborghini Gallardo à près de 190 000 $, les amateurs de sensations fortes n’ont que l’embarras du choix pour se différencier du voisin. Il faut dire que ces bolides offrent leur lot d’émotion : jusqu’à 320 km/h et de 0 à 100 en 3,9 secondes pour la Gallardo, seulement 4,7 secondes pour la Maserati. Voilà qui vous place un homme sur l’échelle sociale…
Le phénomène de consommation de luxe se retrouve donc dans la culture sino-canadienne en toute logique. Plus la couche aisée se développe, plus elle fait fonctionner l’économie, et par le même processus, celui du luxe. Qui sommes-nous donc pour blâmer ces pères de familles de vouloir jouir d’un bien ? Il suffit juste de ne pas confier les clefs à de grands enfants. Car cette mauvaise publicité pour la communauté asiatique augmente le mécontentement du reste de la population. Lors de contrôles autoroutiers pour coincer les chauffards, plusieurs honnêtes gens se sont vus soupçonner de faire partie de la course. Ce n’était pas le cas. Néanmoins, ils sont bel et bien dans la course aux biens matériels. Le capitalisme a encore de beaux jours devant lui.