Van Gogh se plaisait à dire que réaliser des esquisses revenait à planter des graines pour faire pousser des tableaux. Suivant cette logique et devant l’immense succès que connaît le Eastside Culture Crawl, qui se poursuit à Vancouver pour une saison artistique jusqu’au 6 décembre. On pourrait avancer que les semences plantées il y a 17 ans par la communauté d’artistes portent aujourd’hui leurs fruits.
Plus de 400 artistes sont réunis et ouvrent leurs ateliers au public, l’invitant à pénétrer dans l’univers de leur art. Esther Rausenberg, directrice du Eastside Culture Crawl, confie que l’évènement attire un nombre croissant de visiteurs : « Chaque année nous recevons plus de 20 000 visiteurs et les 27 000 programmes imprimés sont vite épuisés. » Si le Eastside Culture Crawl se focalise sur la liberté d’expression, c’est surtout pour que les artistes puissent maintenir le dialogue avec le public.
L’Art de la vérité…
Il est souvent reproché que l’art ne nourrit pas son homme. Quid des contraintes ? Esther Rausenberg avance que le manque de galeries reste une lacune à combler. Au prorata de la population, la Colombie-Britannique a le nombre le plus élevé d’artistes visuels au Canada.
Holly Cruise, souffleur de verre, est associée avec le Culture Crawl depuis plusieurs années. Membre du Terminal City Glass Co-op, elle confie que c’est amusant de travailler le verre. « C’est comme manipuler du caramel. J’adore l’élément ludique et je prends avec grand sérieux… de pouvoir m’amuser. J’aime aussi cette sensation de liberté de façonner ce qui m’inspire », lance-t-elle d’une voix gaie parsemée de fou rire. Aussi grande qu’est la joie de créer, la désillusion s’affiche souvent au revers de la médaille. Holly Cruise avance : « l’artiste ne peut vivre de ses œuvres ! J’exerce le métier de graphiste pour joindre les deux bouts. Vancouver est une ville chère qui manque de culture artistique ».
Beata Kacy, directrice de Octopus Studios a plusieurs cordes à son arc. Tantôt elle fabrique du savon et à d’autres moments, elle se transforme en joaillière, ou encore elle plonge vers les fonds marins pour prendre des clichés insolites ou photographier les évènements. La polyvalence est importante pour la survie, dira-t-elle. Séduite par le décor naturel de la Colombie-Britannique, elle a émigré de la Pologne. Une beauté qui se pose en compétiteur pour beaucoup d’artistes, avoue-t-elle. « La nature est si prenante ici. Les gens s’habillent en tenue décontractée, sont proches du yoga et du sport. L’art est loin d’être leur sujet de prédilection. Vancouver est encore à la fleur de l’âge de la culture artistique. On ne peut s’attendre à trouver Paris au Canada ou Rome à Vancouver. »
L’ère des réconciliations et l’art de la réussite
A l’angle de la rue Victoria et Powell, le Redsokil Arts, l’atelier de Lori Sokoluk abrite un espace généreux – important pour la stabilité des artistes. Séduite par les paysages des Prairies canadiennes, celles-ci l’inspirent à se mettre à la peinture. Installée depuis 11 ans à Vancouver pour peindre en plein air, sa palette s’est variée au fil du temps. Elle jongle avec le style d’expressions libres – l’huile, l’aquarelle et l’acrylique épousent ses créations abstraites. L’autonomie est essentielle pour permettre à un artiste de créer. Elle lance : « Je suis libre de m’exprimer sans contraintes et sans les exigences des galeries. » Toutefois, l’économie du pays ne converge hélas pas en faveur de l’art malgré les perspectives existantes pour la communauté d’artistes.
Les taxes doivent être revues, par esprit de civisme envers les artistes, selon Lori Sokoluk. Celles-ci sont hors de portée. Souvent, les artistes ne pouvant plus honorer leurs charges sont contraints de céder leurs ateliers aux promoteurs immobiliers. « Nous travaillons dur mais récoltons peu. Il est important de dissiper les préjugés que les artistes mènent une vie de bling-bling. Nous œuvrons beaucoup à l’amélioration de la société. Beaucoup de travail est accompli derrière les rideaux du Culture Crawl, afin que la voix des artistes puisse se faire entendre » renchérit-t-elle.
Abdollahi Sorour concilie le passé et le présent. Elle amorce la transition de son pays d’origine, l’Iran, qui dispose d’un riche tableau architectural : « Cela relève du défi. Le Canada n’est qu’une ardoise neuve avec peu d’empreinte artistique. J’ai troqué la notoriété pour l’anonymat… Mes pinceaux reflètent désormais une touche de modernisme, de formes abstraites, avec une fine pointe d’ethnicité dans les couleurs. » Elle avoue qu’elle remonte la pente grâce à des évènements comme le Eastside Culture Crawl qui sont des carrefours pour les artistes.
« On relève de l’histoire. Certains artistes devront attendre que sonne leur heure de chance avant que leur œuvre ne soit reconnue, car le chemin de la gloire est souvent long », conclut Esther Rausenberg.
Saison artistique du Vancouver East Side
Mercredi 6 novembre au lundi 16 décembre 2013
http://www.eastsideculturecrawl.com