Quand quelqu’un devient riche, il commence par s’acheter un beau logement, puis une belle voiture. Ensuite, il va visiter Paris.
La capitale française a ainsi accueilli les vagues de touristes britanniques au 19ème siècle, puis les Américains, avant de s’habituer aux Allemands et aux Japonais. Après la chute du Mur de Berlin, les Parisiens se sont habitués à voir des cars de touristes en provenance d’Europe de l’Est. Maintenant, ce sont les nouveaux riches d’Amérique latine, du Mo-
yen-Orient, de l’Inde et de la Chine qui viennent photographier la Tour Eiffel et faire le plein de sacs Vuitton. L’an dernier, Paris a accueilli 29 millions de touristes dont deux tiers d’étrangers. Actuellement, ce sont les visiteurs chinois qui transforment le plus rapidement et radicalement le paysage touristique de la capitale française. Pour beaucoup d’entre eux, c’est le premier voyage à l’étranger et c’est Paris qu’ils ont choisi.
L’écrasante majorité des vi-siteurs chinois vient à Paris en voyage organisé. Les compagnies chinoises qui organisent ces vo-
yages négocient dur sur les prix. Elles signent des contrats avec des hôtels bas de gamme dans les quartiers peu chers et parfois même en banlieue. Les repas sont pris dans des restaurants chinois. Les autocars qui sont loués pour transporter ces touristes proviennent souvent d’Europe de l’Est, un chauffeur polonais ou bulgare coûtant moins cher qu’un Français. Les médias rapportent que le nombre de visiteurs chinois augmente de près de 25% par an mais les chauffeurs de taxis et les tenanciers de bistrots se plaignent de ne pas profiter de cette manne touristique. Ces visiteurs chinois sont les rois de la visite express car ils ne sont là que pour 3 à 5 jours et c’est donc au pas de course qu’ils traversent le Louvre ou le Château de Versailles. Mais cette vague chinoise fait tout de même plaisir à deux secteurs : les magasins de luxe et les voleurs.
En effet, si les touristes chinois dépensent peu pour se loger et se nourrir, ils se rattrapent sur les produits de luxe. 60% de leur budget est consacré aux sacs Vuitton, aux foulards Hermès et produits duty free à l’aéroport. Les grands magasins, comme les Galeries Lafayette, ont engagé du personnel parlant mandarin et toutes les boutiques de produits haut de gamme ont organisé des sessions de formation sur l’art de faire affaire avec les Chinois. Quant aux voleurs, ils ont vite réa-
lisé que ces touristes utilisent peu la carte de crédit, préférant se déplacer avec des milliers d’euros dans les poches. Des gangs, souvent originaires du sud-est de l’Europe, visent tout particulièrement les touristes asiatiques qui sont peu familiers avec ce type de délinquance et qui sont donc des proies faciles. Les médias chinois rapportent de façon régulière des histoires de sacs à main arrachés, de Chinois victimes de pickpockets et, parfois, de vols avec violence. Un porte- parole de la police, le commandant Régis Mongendre,
admet que ce genre de délinquance a augmenté de 8% cette année et que 17% des vols enregistrés visent des victimes asiatiques. Ces chiffres sous-estiment l’ampleur du problème car très peu de victimes portent plainte, trop pressées, ou simplement découragées par la barrière de la langue. Le gouvernement chinois s’est plaint et le ministre français responsable de la police, Manuel Valls, a augmenté le nombre de policiers chargés de la sécurité autour des grands sites touristiques. Des dépliants et des affiches multilingues rappellent aux visiteurs qu’il est impératif de rester vigilant.
Le tourisme chinois en France est si nouveau que c’est un peu une période d’apprentissage pour tout le monde. Déjà, les choses évoluent. D’un côté, les acteurs de l’industrie touristique française s’adaptent à cette nouvelle clientèle et de l’autre côté, les visiteurs chinois apprennent à s’adapter aux voyages à l’étranger. Les touristes chinois plus “ occidentalisés” qui viennent de Hong Kong, Taïwan ou Singapour ont beaucoup plus tendance à voyager seul et pour plus longtemps, n’hésitant pas à prendre le métro, choisir leurs hôtels, créer leurs propres itinéraires et à essayer la cuisine locale. Ceux de Shanghai et Pékin feront sans doute la même chose. Ils commencent par un voyage éclair pendant lequel leur naïveté est facilement exploitée par les voyagistes et voleurs de tout poil, mais l’industrie touristique française se réjouit de voir que ceux qui en sont à leur deuxième vo-
yage en France y consacrent plutôt deux semaines qu’une et qu’ils veulent aussi voir les châteaux de la Loire, le Mont St-Michel et la Côte d’Azur. A long terme, ils se sentiront peut-être prêt à affronter seuls les chauffeurs de taxis malhonnêtes, les garçons de cafés grincheux et les mar-
chands de Tour Eiffel en plastique made in China.