Cela fait trois ans que j’ai, en provenance du Japon, atterri à Vancouver pour effectuer ici des études en médias et communications dans une université locale. Vancouver brille sous les feux de la rampe internationale comme l’une des villes les plus convoitées au monde. Mes premières impressions furent très favorables – la ville est belle et les gens sont ouverts et amicaux. En de nombreuses occasions quand je cherchais ma route, les passants m’ont aidée avec compassion. Vancouver me semblait être une plateforme économique internationale éblouissante, abritant les sièges sociaux de compagnies aux façades étincelantes.
A première vue, la cité semblait parfaite. Toutefois, à la longue, une nouvelle impression se dessine et s’oppose à l’image impeccable que je m’étais faite de la ville. Des sentiments de choc se transforment progressivement en consternation. Médusée, je constate le nombre impressionnant de sans-abris dans les rues et dans les foyers d’accueil, notamment dans le Quartier Est de Vancouver et de ses alentours. Bien sûr que le Japon a son lot de sans-abris, visibles notamment dans les principales régions urbaines de Tokyo et d’Osaka. Selon le Ministère de la Santé, du Travail et du Bien-être de la Famille, leur nombre serait en nette diminution d’approximativement 18.564 en 2007 à 9.576 en 2012. Un contraste avec Vancouver qui présente des chiffres à la hausse selon les statistiques de 2011 du Metro Vancouver Homeless Count (le rapport du comité de direction régionale sur les sans-abris de février 2012) qui dénombre plus de 2600 sans-abris dans la ville.
Contrairement aux villes japonaises, les mendiants dans les rues de Vancouver quêtent des pièces de monnaie et de la nourriture. Je me suis engagée dans des brins de conversations avec quelques personnes. Un homme m’a avoué avec force détails et ne passant pas par quatre chemins qu’il était âgé de 37 ans, souffrait d’une déficience mentale et était dépendant aux drogues. Enfant, il fut maltraité par son père et à 14 ans, après le divorce de ses parents, il partit vivre avec sa mère et sa grand-mère. La consommation de drogues illicites lui permet d’échapper à ses traumatismes et à la dureté de sa vie. Assailli par le sentiment d’isolement et ne pouvant communiquer avec les autres, il ne lui est pas possible d’entreprendre une activité de travail. Accoutumé aux substances nocives et rongé par le traumatisme de son enfance, c’est la descente aux enfers.
Ce fut difficile d’écouter son histoire et alors qu’il m’était impossible de juger de la véracité de ses dires, qui étaient peut-être décorés d’une éventuelle pointe de fantaisie dans l’élan de sa narration, certes la connexion aux évènements décrits était évidente et convaincante.
C’est dans le quartier chinois que j’entrepris mes recherches dans le cadre de mon projet en sociologie l’année dernière. C’était ma première visite au centre communautaire Carnegie situé sur l’aile droite de la rue Hastings. Le quartier est peuplé de sans-abris et de toxicomanes alors que des défavorisés peuplent le voisinage et le périmètre du bâtiment. Je constatai que les toilettes du centre Carnégie disposaient de boîtes dans des endroits stratégiques pour recueillir les aiguilles usagées. Naïve et de ma perspective japonaise, il me semblait que ce centre et le gouvernement étaient en train d’encourager la consommation de drogues. Bien entendu, j’ai fini par comprendre l’utilité de ces boîtes, dont le dessein était de protéger les gens des maladies transmissibles.
Je n’ai jamais été témoin de telles conditions au Japon. Mes yeux sont désormais ouverts sur la problématique sociale et la mauvaise santé dans le Quartier Est du centre-ville, qui ne sont pas faciles à endiguer. Le fléau des sans-abris est un problème social complexe et rattaché à la pauvreté, l’accoutumance aux drogues, les troubles psychiques et le racisme entre autres. Mon excursion estudiantine à Vancouver m’a conduit à l’une des plus flagrantes et éprouvantes difficultés sociales – un défi de taille aussi bien qu’urgent.
Traduction Tanouja Narraidoo