Ne pas embrasser le premier soir, penser à faire des compliments, ne pas être trop disponible. Le processus du dating si particulier à l’Amérique du Nord déstabilise parfois les nouveaux arrivants. La longue liste des règles crée parfois un fossé, qui plus est lorsque deux origines culturelles s’entrechoquent durant un rendez-vous romantique.
Un écart entre culture et génération
C’est de ce constat que la réalisatrice vancouvéroise Kathy Leung a d’ailleurs puisé son inspiration pour un court métrage intitulé Breaking the Rules. La scène des rencontres a beaucoup changé lors des dernières décennies. L’accélération des rythmes de vie suggère que nous devrions communiquer avec beaucoup de gens, être plus sélectif afin de ne pas perdre un temps précieux.
« En tant que réalisatrice issue de la diversité, je voulais montrer cette réalité dans mon film. La manière dont nous grandissons a un effet inévitable sur notre rapport aux autres en général et c’est encore plus vrai dans les rencontres amoureuses. Je voulais montrer cette particularité du dating en Amérique du Nord. »
Une situation qui est parfois difficile à appréhender lorsque l’on n’est pas né ici comme c’est le cas de Manon 23 ans, arrivée il y a 2 ans et qui a toujours du mal à se faire au mode de rencontre canadien « pour nous, européens, sortir avec quelqu’un veut dire quelque chose. Ici voir quelqu’un est très normé mais en même temps, on peut dater plusieurs personnes et du jour au lende-
main ne pas avoir de nouvelles sans même une explication. C’est dingue ! »
Une situation que la coach Tatiana Antropova retrouve parmi ses clients. « Vancouver est un endroit où règne la diversité. Les différences culturelles et personnelles apportent beaucoup à la donne, ce qui rend le processus de rencontre à la fois excitant mais aussi confus. » Nombre de couples viennent de milieux culturels différents. C’est là que les jeunes ont un avantage. S’ils sont nés au Canada ou sont venus à un âge précoce avec leurs parents, le plus souvent ils ont accepté les valeurs canadiennes et le style de vie, et c’est plus facile pour eux de trouver un compromis. Mais les partenaires de la première génération d’immigrants ont un écart plus important dans les croyances et les valeurs cultu-
relles et religieuses et ils ont plus de difficulté à accepter le point de vue d’une autre personne sur les relations, les rôles de genre et de l’organisation de la vie. « Certes, c’est une opportunité d’apprendre d’autres manières de vivre, de nouvelles croyances et tradition. Mais parfois la compréhension devient plus difficile. La solution est alors d’apprendre à s’approprier ces nouveaux codes et regarder le monde à travers les yeux et l’expérience de la personne que l’on a en face. »
La différence plus marquée à l’Ouest
Ainsi, Claire Robson, chercheur à l’Univeristé Simon Fraser rappelle que « ces règles instaurées sont surtout un moyen de se rassurer. Quand on ne sait pas comment agir, il est plus facile de suivre un « guide » pour ne pas faire de faux-pas. » Cela permet d’estomper les différences pour partir sur les mêmes bases. Un cadre que l’on retrouve alors moins dans la communauté queer selon la spécialiste. « Même si elles existent, les incomprehensions liées à la culture sont souvent moins fortes parce que la comunauté gay et lesbienne est moins conformiste. » Le réservoir de possibilité est plus restreint et rend souvent les gens moins conservateurs. C’est aussi pour cette raison que les règles et la manière de rencontrer les gens évolue, notamment parce que dans les familles issues de l’immigration, les parents étaient plus impliqués, ils faisaient plus attention aux pratiques de leurs enfants dans cette nouvelle culture différente de la leur. C’est beaucoup moins le cas lorsque l’on sort du cadre de la famille traditionnelle.
La réalisatrice Kathy Leung le note à travers sa propre expérience « Ayant grandi en tant que Canadienne issue de la deuxième génération d’immigrants asiatiques, je remarque à quel point les minorités aujourd’hui se sont adaptées aux coutumes de l’Ouest et nos codes reflètent cela. » Il existerait alors une certaine « désinvolture Westcoast. […] Elle peut frustrer ou embrouiller les gens d’autres endroits où les choses sont plus claires et directes. Ici, les dates sont moins prises au sérieux. » Les gens préfèrent privilégier les sorties en groupe et voir si une connexion se fait plutôt que de rendre les choses plus officielles avec un vrai rendez-vous. » Cette attitude décontractée se perd souvent en vieillisant. Claire Robson remarque notamment que la communauté lesbienne plus mature délaisse les bars pour se tourner vers les nouvelles technologies « les femmes cherchent plus une compagne de vie avec qui partager les même passions, les réseaux sociaux sont alors un bon moyen de faire une pré-sélection. » Un avis partagé par Tatiana Antropova « les gens de ma génération préfère l’ancienne approche « démodée », même s’ils cherchent un partenaire en ligne, ils aiment se retrouver tout de suite au lieu de faire des aller-retours de courriels pendant des semaines ou des mois. Un moyen de mettre les différences à plat dès le début et savoir ou cela mènera.