L’idée de pouvoir aller n’importe où tout en amenant sa maison avec soi m’a toujours fait rêver. Ça évoque la liberté, l’aventure sans être loin de son fauteuil, la simplicité volontaire sans ascétisme extrême. Il faut dire que le camping-car nord-américain moderne n’a pas grand-chose à voir avec le mini-bus Volkswagen de l’époque hippie.
Une recherche en ligne permet de découvrir les récits de ceux qui ont choisi d’abandonner à tout jamais la vie pantouflarde ordinaire et de vivre toute l’année dans leur roulotte. Il est question de camper gratuitement sur les plages et dans les forêts, ainsi que sur les stationnements des Walmarts. Ils parlent d’autonomie maximum grâce aux panneaux solaires et aux mini éoliennes. La plupart de ces néo-nomades sont des retraités aux moyens financiers limités qui ont dû choisir entre une maison ou une vie de voyage. Mais il y a aussi des jeunes qui font des travaux saisonniers quelques mois par an pour financer leur vie sur la route.
C’était donc la tête pleine de cette vision romantique que je me suis rendu au Tres Amigos RV park le long de la plage de Isla de las Piedras, au sud de Mazatlan, au Mexique. Rien qu’à voir la taille des RV en question, on sait tout de suite que l’on n’a pas affaire à des rescapés de Woodstock en quête d’un quelconque rêve hippie version papy. Les roulottes en question sont bâties sur des châssis de bus et valent parfois aussi cher qu’une maison de banlieue ordinaire. Les propriétaires, canadiens pour la plupart, se plaisent à souligner que leur véhicule n’a rien à envier aux logements modernes: sièges en cuir, parquets, réfrigérateurs, congélateurs, machine à laver, satellite pour la télé et l’ordinateur, écrans géants, air climatisé et espace de rangement en masse. Mais ces énormes maisons / autobus ne sont pas suffisantes, et ils ajoutent une voiture qu’ils remorquent derrière leurs gros engins. L’immense soute à bagages permet aussi d’emporter des vélos, des tables et chaises de camping, un barbecue et toute sorte d’autres jouets lourds et coûteux. Ces bourgeois nomades me font vite comprendre qu’ils n’ont rien à voir avec ces anciens hippies qui s’adonnent au nomadisme bon marché par amour de la simplicité. Drew, qui vient de Spokane et passe ses hivers au Mexique depuis 10 ans, souligne que de descendre en avion à deux personnes reviendrait moins cher que ce qu’il paie en essence pour conduire son monstre à roulettes jusqu’au Mexique. Sans compter que le terrain de camping n’est pas particulièrement bon marché : « avec l’électricité pour faire marcher l’air conditionné 24 heures sur 24, ça me revient à 850$ par mois » dit-il fièrement. Quand on sait qu’à Mazatlan on peut louer un appartement meublé tout à fait confortable pour 600$ par mois, en effet, le nomadisme haut de gamme n’est pas bon marché.
Pourtant, ces retraités qui ne voyagent pas sans amener leurs maisons de luxe avec eux, se voient comme des aventuriers. Certes, le concept est relatif, mais leurs amis au Canada et aux États Unis leurs disent qu’ils sont fous de s’aventurer sur les routes du Mexique où, ils l’ont lu dans le journal, il y a un bandit derrière chaque cactus. John, un militaire à la retraite qui passe ses étés en Ontario et ses hivers sur cette plage mexicaine, affirme qu’il y a maintenant un excellent réseau d’autoroutes au Mexique et qu’il s’y sent plus en sécurité qu’aux États-Unis. Fern et son mari, de l’Ile de Vancouver, ont longtemps été « snowbirds » aux États-Unis mais ont finalement choisi le Mexique car les assurances médicales sont trop chères aux États-Unis quand on a plus de 75 ans. Jeanne, une franco-ontarienne de la région d’Ottawa, remarque qu’il y a de moins en moins d’Américains dans les RV parks mexicains, comme si Fox News les avaient convaincus que le Mexique était devenu une sorte de Bagdad sur mer à ne traverser qu’en véhicule blindé.
Les habitués du Tres Amigos RV Park sont heureux de passer leurs hivers dans le confort de leurs maisons ambulantes garées entre une plage magnifique et une plantation de cocotiers. Chaque hiver, il y retrouvent leurs amis et voisins. Même si du point de vue de l’empreinte écologique ce n’est pas vraiment idéal, ils amènent de l’argent dans une petite communauté mexicaine qui en a bien besoin. Quant à moi, j’ai tout de suite compris que ce n’était pas mon truc et qu’une petite valise me suffisait. En fait, je ne voyage plus qu’avec des bagages à main car je me dit que moins on a de choses moins on a de problèmes. Mais bon, il en faut pour tous les goûts.
On peut se demander tout de même si les gros RV de luxe ne sont pas en train de passer de mode. Certains fabricants nord-américains n’ont pas résisté à la crise. Les banques prêtent moins facilement pour financer ce genre de jouets et le prix du carburant décourage les moins fortunés. Les terrains de camping spécialisés poussaient comme des champignons, persuadés que les baby boomers allaient tous se lancer dans l’aventure du camping-car. Pour bon nombre de ces investisseurs, l’inquiétude a remplacé l’enthousiasme. Au Mexique comme ailleurs, le nomadisme de luxe n’est peut être plus ce qu’il était.