Impairs dans une nouvelle société

Les mains des enfants tiennent le monde. | Photo par Don Hammond/Design Pics/Corbis

Les mains des enfants tiennent le monde. | Photo par Don Hammond/Design Pics/Corbis

Je suis arrivé au Canada le 5 mai 2005, peu avant mes 18 ans. Les choses n’étaient pas comme je les avais imaginées; c’est peut-être parce que je me suis retrouvé dans la petite ville de Kelowna. J’ai souffert d’un choc culturel, passant d’une ville de 14 millions d’habitants noirs à une petite ville de 150 000 habitants.

Kelowna a une population peu nombreuse de Noirs, aux environs de 50.

J’ai été un peu déçu, mais non découragé. Né et ayant grandi au Nigéria, ma seule expérience du monde se résumait à une visite à Londres, en Angleterre. Même durant ce voyage, j’étais toujours entouré de Nigérians. J’étais donc un peu naïf quant aux us et coutumes du reste du monde.

Mon premier mois passé au Canada fut un réveil brutal. Je me souviens du jour où je suis allé à La Baie pour acheter des chaussures. Apercevant des souliers de course Tommy Hilfiger, j’en suis tombé amoureux. J’ai demandé à la caissière le coût de ces chaussures, et elle a répondu: 109$. J’ai traversé le centre commercial pour retirer de l’argent de la banque, puis je suis retourné acheter les chaussures. La caissière m’a dit que le total serait de 122$. Comme vous pouvez l’imaginer, j’étais furieux – pourquoi le prix avait-il bondi ? Je l’ai accusée de racisme et lui ai dit que je n’étais pas un idiot.

Il faut comprendre que j’avais déjà traversé des expériences de ce genre. J’étais le seul Noir à l’école et comme un étranger, je ne m’y sentais pas à l’aise. Les gens me dévisageaient dans la rue, et certains me pointaient du doigt. Une fois, à l’université, une fille m’avait demandé si l’on portait des chaussures en Afrique, et si j’habitais dans une hutte. Ces incidents se sont accumulés au point où j’ai déversé ma colère et ma frustration sur la caissière. Ça a pris les efforts de tout le monde, y compris ceux du gérant, pour me convaincre que les taxes n’étaient pas incluses dans le prix de vente. Vous pouvez imaginer comme je me suis senti stupide.

Certaines nuits je pleurais et souhaitais me retrouver chez moi, avec les miens. Certains de mes amis me traitaient comme un nouveau jouet pour épater leurs amis. Cela ne veut pas dire, par contre, que tout était mauvais. J’ai rencontré des gens extraordinaires, sincèrement intéressés à ma culture. De plus, je recevais toujours des boissons gratuites en boîte de nuit.

Mon plus grand handicap a été mon manque d’éducation en matière de culture financière canadienne. J’ai reçu ma première carte de crédit en 2006… et je peux dire que cela a été une des plus grandes erreurs de ma vie. J’ai dépensé cet argent invi-
sible sans souci; je pouvais à
peine croire que je n’avais qu’à faire glisser cette carte pour avoir ce que je voulais. J’étais au paradis, mais ma dette ne l’était pas. Je ne payais jamais mes factures à temps; je pensais que le taux d’intérêt n’était pas grand-chose. Si seulement j’avais compris les conséquences de mes gestes ! Mais qui connaît le concept du crédit au Nigéria ? Mon ignorance m’a coûté cher. Je me retrouvais devant une grande richesse; mes dépenses s’envolèrent. Ma limite de crédit a baissé de 3 000$ à
1 500$; j’étais en difficulté. Je ne savais pas comment réduire mes dépenses, et puisque je ne payais plus mes dettes, ma cote de crédit a aussi diminué. Plus on s’enfonce, plus il est difficile de s’en sortir.

Être un immigrant au Canada est difficile sans une bonne orien-
tation. On pense toujours qu’on a quelque chose à prouver, qu’on est plus que la couleur de sa peau, qu’on doit se conformer pour être accepté. Mon accent devait changer, mes manières aussi. On a l’impression de toujours faire du rattrapage. Le Canada est un beau pays, mais il y a quand même beaucoup de travail à faire pour améliorer l’intégration des immigrants.

 

Traduction Sophie Lee