Manette de contrôle en main, avachi devant ma télé, chaque matin, depuis qu’ils ont commencé, je regarde les Jeux de Sotchi. Rien de remarquable à cela. Nous sommes des millions à le faire. Des millions de téléspectateurs passifs. Selon la pièce où se trouve la télé, des millions de sportifs de salon ou, dans mon cas, de chambre à coucher. Bravo. Admirez le spectacle.
À peine réveillé, à moitié endormi, j’allume mon poste et me voilà transporté à Sotchi. Sotchi
comme si j’y étais. Mais, tout comme Obama, Harper, Cameron, Hollande et quelques autres chefs d’État, je n’y suis pas. Sotchi se passe de moi. J’ai mon voyage. Je ne fais pas partie du voyage. J’aurais pu, si j’avais voulu, me dis-je, histoire de me consoler. Un événement comme cela, qui a lieu une fois tous les quatre ans, ne se manque pas. Faute d’être sur les lieux, moi peu pieux, je les regarde, de mon pieu. Je boycotte Sotchi mais pas les Olympiques d’hiver. Je pousse l’hypocrisie au bout et m’arrange avec les nuances.
En effet, emmitouflé sous les couvertures et les draps, popcorn, chips, nachos, salsa et bières à portée de la main, je me laisse prendre par ces Jeux qui ne sont pas des jeux d’enfants malgré la jeunesse évidente des athlètes. Sur mon écran géant, mon image m’est réfléchie alors que les skieurs descendent à toute allure des pentes trop en pente pour moi. Ce n’est pas beau à voir. Je parle de ma réflexion.
Pas la cérébrale évidemment. Celle-ci m’a depuis longtemps quitté, avec le début de ces Jeux, pour faire place à une torpeur, une léthargie qui ferait l’envie d’un paresseux sur sa branche. Allongé, j’observe, je commente, je critique, j’admire, je contemple et m’avachis pleinement. Je suis dans la contemplation. Je suis au septième ciel. Le Canada, grâce au Québec, en ce début des Jeux, se couvre de gloire. Je comprends maintenant pourquoi Ottawa ne veut pas entendre parler de séparation. Une confédération sans médaille, c’est comme un ciel sans étoile. Ah ! Je vois Poutine jouer les tsars. Ce sont ses Jeux. Il les domine. Il est heureux. Il respire la gaieté. L’homophobe est aux anges. Personne, à ce jour, ne s’est permis de lui gâcher la fête. Il est vrai que les jeux ne sont pas faits. Il disparaît enfin de l’écran. Place aux épreuves.
Quelque chose me dérange. Mon confort est perturbé. Les journalistes et commentateurs sportifs m’agacent. Ils ne parlent pas. Ils aboient. À quoi jouent-ils ? J’ai le sentiment que l’annonceur essaie de me vendre une voiture d’occasion ou un aspirateur. De surcroît, ils me laissent entendre, non sans un brin de malice, que je suis en train de manquer quelque chose d’important. Et vlan ! Ils me disent cela en pleine face. Je n’aime pas que l’on me nargue, même à distance. Je baisse le son pour ne plus les entendre. De toute façon, ils racontent des banalités et répètent sans cesse les mêmes choses. Je choisis de les ignorer. Avec difficulté, j’y parviens. Je ne vais pas, après tout, les laisser gâcher mon plaisir.
Agacé, pendant une pause publicitaire, je passe à une autre chaîne. Comble de malchance, je tombe sur Jim Flaherty, le ministre des finances qui, je crois comprendre, m’annonce, avec son budget, que faute d’argent nous ne roulons pas sur l’or et que, si ça continue, nous retournerons bien-
tôt, à l’âge de bronze. C’est trop. Pas de médaille pour lui. Où sont mes chips et mon popcorn ? Je les ai renversés sur mon lit au moment même où l’on jouait l’hymne national canadien. Ma bière a pris le bord aussi. Mes draps sont trempés. Mon lit ressemble à un chantier. Cela semble faire sourire le couple de patineurs de danse artistique à qui un officiel vient de remettre des médailles. Page publicitaire. On m’invite à manger de la malbouffe. J’hésite. Je zappe. J’ai déjà tout ce qu’il faut à ma portée. Flaherty montre ses nouvelles chaussures. Son budget a dû en prendre un coup. De la paire de pompes à la paire de lames, je retourne au patin à glace. Les patineurs, un couple chinois, tourbillonnent. Ils exécutent quelques sauts, puis c’est la chute, suivie d’une autre. Fini leur rêve. Le dos bien enfoncé dans mon oreiller, je partage leur douleur. Je compatis. C’est ma façon, à moi, de participer à ces Jeux.
Tiens, maintenant on passe au curling. Réveillez-moi, j’ai besoin de me réapprovisionner. Sotchi dit, les Jeux ne sont pas finis.