Avec Mies Julie présenté au Cultch, préparez-vous à entrer dans la cuisine d’une ferme isolée au coeur de l’Afrique du Sud contemporaine. C’est là que vous rencontrerez Julie, la fille blanche d’un grand propriétaire terrien, qui éprouve quelque chose pour le serviteur noir de son père. Le temps de l’apartheid est loin et pourtant, leur relation s’avère chaotique et violente, comme empoisonnée par le passé du pays qui les a vus grandir.
La metteuse en scène Yaël Farber a trouvé la juste recette pour évoquer les blessures et les contradictions de son Afrique du Sud natale en adaptant un grand classique suédois du XIXe siècle. Si la pièce écrite par August Strindberg en 1888 a été considérée comme sulfureuse en son temps, cette adaptation s’avère tout simplement explosive. John et Julie se disputent et se testent sous les yeux de la cuisinière qui n’est autre que la mère de John qui les a tous deux élevés. Yaël Farber ajoute la question de la couleur de la peau et de l’histoire à cette intrigue déjà basée sur la lutte des classes et des sexes. Elle définit leur relation comme « Un très puissant noeud constitué à partir d’une myriade de fils. Ils sont maître et serviteur, frère et soeur, amoureux, amis et témoins de leurs vies respectives. La cruauté, l’intimité et l’amour profond sont les symptômes de leur relation qui définissent comme autant de fils la complexité des conséquences de l’apartheid ».
Entre tendresse et brutalité, entre amour et violence, le jeu qui lie les deux principaux personnages bouleverse assurément les cadres du langage et du corps. À tel point que le public peut ne pas en ressortir indemne. Yaël Farber a-t-elle voulue choquer ? Oui, sans aucun doute. « On savait que c’était une pièce extrêmement conflictuelle. Alors j’ai écrit ce texte avec l’intention de ne rien retenir ou cacher. Montrer deux Sud-africains qui arrivent à parler sans sous-entendus pour évoquer clairement tout ce que l’on ne dit pas dans la vie de tous les jours. L’effet sur le public a été variable, mais toujours extrêmement intense. Et c’est pour moi la raison d’être du théâtre : Provoquer une confrontation avec soi-même au travers des autres ».
Par le biais de ce huis clos entre John et Julie, la metteuse en scène entrevoit donc « la possibilité d’explorer toutes les petites nuances et les tensions grandissantes qui secouent la nation sud-africaine » près de 23 ans après la fin de l’apartheid. Pouvoir, sexualité, maternité ou territoire, ces enfants de la nation arc-en-ciel voulue par Nelson Mandela semblent tellement brisés par le passé qu’il leur est difficile d’entrer en contact. Obsédés par l’avenir, ils n’osent pas regarder derrière eux. Yaël Farber veut attirer l’attention sur ce fait : « Si ce système a été officiellement abandonné, ses résultats vont prendre plusieurs générations pour être dilués. Je ne suis pas sûre que l’on pourra complètement s’en remettre avant très longtemps. Mais c’est notre responsabilité d’en parler après la mort de Madiba. Son départ fut comme la mort du père pour la grande majorité des Sud-Africains. On le vit collectivement et c’est à nous maintenant de bâtir le futur que lui et les autres ont forgé pour nous ».
Avec cette pièce engagée, la troupe du Baxter Theatre Centre de Cape Town a déjà remporté un franc succès aux États-Unis, en Europe, en Chine, ailleurs en Afrique, et en Australie. C’est au public de Vancouver qu’elle offrira à partir de la fin du mois de mars sa première au Canada avant de partir vers Toronto et Montréal. Un évènement qui ne devrait encore pas laisser le public indifférent selon Yaël Farber : « L’Afrique du Sud est une société incroyablement vivante et intriguante aux yeux du monde mais j’espère que les gens qui quitteront la salle après avoir été choqués percevront ce qu’il y a derrière. »
Mies Julie
25 mars au 19 avril
The Cultch Historic Theatre
www.thecultch.com