Vancouver… j’étais fatiguée, à cause du décalage horaire, et désorientée, la première fois que je t’ai rencontrée, au bout de quinze heures de vol depuis la Suède et tout ce qui m’était familier. Et, honnêtement, je ne parvenais pas à te cerner.
Tu parlais une langue étrangère, portais des vêtements différents, mangeais de la nourriture différente, vivais à un rythme complètement différent. Je me retrouvais tantôt deux pas devant toi, tantôt deux pas derrière. Tantôt je te quittais, tantôt c’était toi qui me quittais. Parfois, il me semblait que j’étais tout simplement sur une autre planète.
« Fais attention aux zombies. » Une Italienne m’avait dit ça dès mon arrivée, son doux accent italien contrastant avec le sérieux de ses propos. Je ne savais pas exactement ce qu’elle voulait dire par cela mais j’ai hoché la tête comme si je la comprenais, afin de me donner des allures de grande voyageuse, sans doute. Fais attention aux zombies. D’accord. Je pouvais faire ça.
Nous avons partagé une chambre, dans une auberge de jeunesse au centre-ville, le temps de quelques nuits. Je passais mes journées à me promener, à chercher des points de repère, à apprendre. Il s’avère qu’une promenade autour du parc Stanley prend beaucoup de temps lorsqu’on perd son chemin, tant à l’aller qu’au retour. Mais les vents salés et l’océan noyé de lumière solaire savent calmer les pieds fatigués. Et, étonnamment, Coal Harbour et English Bay n’avaient plus l’air complètement étranger. J’imagine que l’océan est partout le même.
« Mon pays me manque, »
l’Italienne m’a avoué un soir, d’un air plutôt perplexe, comme si cette sensation de manque était anormale. J’ai hoché la tête, sympathisant avec elle, croyant reconnaître ce sentiment. « Depuis combien de temps es-tu partie ? » « Sept ans. » Oh… Sept ans. J’étais partie depuis à peine une semaine !
La recherche d’un logement s’est amorcée, et j’ai traqué des annonces d’un bout à l’autre de la ville. Du centre-ville à Chinatown, de Richmond à Burnaby, le tout pour me retrouver à mon point de départ. Finalement, j’ai décidé de simplement louer une chambre, plus bas, rue Granville. Elle me semblait bien située, au beau milieu de l’action.
Afin de me rapprocher de la culture canadienne, j’ai goûté à la poutine et aux japadogs pour la première fois. La poutine ne m’était pas complètement inconnue; si on y ajoutait des airelles et des boulettes de viande, ce serait un mets du dimanche comme les autres, chez ma grand-mère. Mais les japadogs posent un plus grand défi.
Un soir, en retournant à l’auberge de jeunesse, j’ai vu que l’Italienne faisait ses bagages.
« Où vas-tu ? » Sourire. « Au Mexique. » Elle avait trouvé un vol pas cher, dernière minute. Un billet vers une nouvelle aventure. « Je ne peux pas supporter le froid, tu sais. »
J’ai hoché la tête. Il est vrai qu’il finit par énerver, parfois, le froid. Le lendemain matin elle était partie.
J’ai déménagé dans l’appartement sur Granville la semaine même. Une des co-locatrices est coréenne et l’autre est japonaise. On ne se comprend pas toujours très bien, mais ça n’arrête pas de bouger, ici. La rue Granville n’est peut-être pas de toute beauté, pas comme l’océan, mais je la trouve quand même attrayante, malgré moi.
Et les zombies ?
J’en ai rencontré quelques-uns, mais il ne m’a pas fallu longtemps pour me rendre compte qu’ils étaient plus néfastes à eux-mêmes qu’aux autres. Pas vraiment des zombies à craindre soi-même; que des gens perdus. Un sentiment qui ne m’est pas complètement inconnu. Comme l’a chanté Leonard Cohen: « Il y a une fissure en toute chose, c’est ainsi qu’entre la lumière. »
Il faut du temps pour te connaître, Vancouver. Tu es une explosion de cultures, mais pas aussi déroutante que je l’avais d’abord imaginé. Pas si différente. Tu sais quoi? Je n’ai pas besoin du Mexique. Je crois que ce que j’essaie de dire c’est : « Bonjour Vancouver, enchantée de faire ta connaissance. Aimerais-tu te promener avec moi ? »
Traduction Sophie Lee