Quels que soient le siècle, la civilisation, ou la partie du monde où des génocides frappent, les victimes vivent les mêmes tourments. Leurs témoignages sont bouleversants. Toutefois, les survivants qui ont trouvé refuge dans des pays d’accueil prouvent qu’il est possible de reconstruire sur la douleur. L’homme est doté d’une capacité de résilience étonnante. Les déchirures de l’âme, palpables autrefois, se cicatrisent avec le temps surtout quand le pays hôte se montre compatissant et accueillant.
Selon les statistiques des Nations Unies, le Canada serait le pays qui accueille le plus de réfugiés dans le monde, après les États-Unis. Une croissance de 7% a été enregistrée depuis 21 ans, avec une moyenne annuelle de 152 000 selon les sondages réalisés en 2011.
Plusieurs organisations non-gouvernementales prennent le relais pour encadrer les réfugiés des pays déchirés par la guerre. Félix Kongyuy, directeur de Baobab Empowerment Society et originaire du Cameroun, souligne que ces personnes arrivent avec des troubles psychiques qu’ils enfouissent pendant des années. Il précise : « Grâce à l’accueil et au soutien de plusieurs organismes, ils affrontent les obstacles et retrouvent équilibre et bien-être. »
Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts
Trésor Anaky, 25 ans, originaire de la Côte d’Ivoire est de ceux qui ont vaincu le sort. Jovial, enthousiaste, optimiste, il garde le souvenir de ces années où chaque aube était un cadeau du ciel. Délaissant le clavier du piano auquel il s’adonne tous les soirs, il se confie : « le Canada est comme ma mère adoptive. Il est si généreux et m’encourage tous les jours à aller de l’avant. Quand je tombe, il me relève, essuie mes plaies et me prie de continuer jusqu’au bout. Il m’inspire confiance et je sais que je suis sur la bonne voie. » Trésor Anaky s’était retrouvé un matin à l’aéroport de Vancouver, perdu comme un échappé d’un ouragan. C’était en 2002. Pris dans une embuscade pendant l’épisode de l’ex-président dictateur Laurent Gbagbo, sa seule chance de survie était de fuir le pays. Aujourd’hui, il regarde le passé avec un léger sourire : « en descendant de l’avion, alors que je me renseignais sur l’adresse où je devais aller, un jeune Canadien m’a offert cent dollars pour payer un taxi. Et pourtant, je ne lui avais rien demandé. Le sens de la générosité des Canadiens est épatant. Ce fut le début d’une nouvelle vie pour moi. » Trésor Anaky travaille aujourd’hui comme représentant au service de la clientèle dans une firme commerciale. Tout au long de son parcours, des mains tendues lui ont prêté secours. Il se confie : « j’ai été nommé meilleur étudiant au Collège Éducacentre où j’ai bénéficié des cours gratuitement. » Il collabore avec le centre Baobab afin de trouver des solutions aux enjeux touchant les sans-abris et aspire à devenir un jour diplomate international. Un rêve qu’il n’est pas prêt d’abandonner.
L’histoire de Lien Hanh (prénom et nom modifiés) est différente de celle de Trésor Anaky. Toutefois, comme lui, elle a gommé les tristes souvenirs des turpitudes dans son pays d’origine et s’est focalisée sur le présent. Un présent qui vaut son pesant d’or. Elle précise : « le Canada nous a tout donné. Mes frères et moi avons eu une bonne scolarité ici. Le gouvernement nous a soutenus financièrement. Cela a été un nouveau départ pour nous. Nous nous épanouissons dans un climat sain et prospère ! » L’évasion du Vietnam a offert à Lien Hahn et sa famille un nouveau destin. Elle raconte : « c’étaient les deux derniers mois de 1979. Mon père avait construit deux énormes embarcations de fortune afin que la famille puisse se sauver du Vietnam. Nous étions cinquante personnes à avoir embarqué. » En effet, les deux bateaux affrontent non seulement une mer houleuse, sans boussole, mais sont arrêtés et pillés en route. Ils perdent contact l’un avec l’autre et le moteur de l’une des embarcations tombe en panne. Miraculeusement, elle est « remorquée » par deux dauphins qui la dirigent vers la rive. La famille complète se retrouvera plus tard en Colombie-Britannique après que des représentants du Canada les ont rencontrés dans un camp de réfugiés en Malaisie.Aujourd’hui, Lien Hanh ne tarit pas d’éloges et de remerciements pour le pays qui leur a sauvé la vie. Elle s’exprime dans un anglais presque parfait et travaille dans une boutique à Surrey. Elle sert également d’interprète à son mari, consultant en Feng-Shui.
Rêves déchus, espoirs redoublés
Jean-Jacques Bosco vit un quotidien serein depuis son arrivée en Colombie-Britannique le 16 juin 1998, avec la mention « Apatride – HCR » estampillée sur ses papiers. Il aura également fait abstraction de son lourd passé de témoin des crimes sanguinaires au Rwanda. Il se confie : « Si les rêves que je voulais réaliser dans mon pays sont partis en fumée, en revanche je suis arrivé dans un pays où les droits de l’homme sont respectés. Je me suis bien intégré dans la population. Le Canada m’a redonné la dignité et l’espoir de vivre. » Jean-Jacques Bosco cumule de nombreuses activités : tuteur de langue française, moniteur de foot, alors qu’il termine son baccalauréat en criminologie à l’université.
Si pour les survivants des guerres et génocides, la réalité dépasse souvent la fiction par les épreuves subies, la lumière se montre toujours au bout du tunnel.