Dernièrement, j’étais invité à célébrer Pâques chez des amis, à Richmond. Chaque fois que je me rends dans cette banlieue de Vancouver, je me perds. C’est presque devenu une habitude. Depuis le temps, je me suis fait à l’idée. Toutes les rues et les avenues se ressemblent. Neuf fois sur dix, je tombe sur un cul-de-sac, une impasse.
Impassible devant ces impossibles impasses, j’essaie d’y voir clair et d’imaginer une voie de sortie. Si j’ai pu y entrer, je dois pouvoir en sortir. Telle est ma logique. Et je vais même plus loin. S’il en est ainsi de ma vie, il en est de même avec le reste du monde, j’ose me dire. Si vous suivez tant soit peu l’actualité, vous remarquerez que je n’ai pas tout à fait tort de penser ainsi. Les impasses abondent. Il y a des impasses partout, et personne ne sait comment en sortir.
Les impasses politiques, particulièrement, occupent quotidiennement nos manchettes. Elles font plus d’une fois la une. L’Ukraine vient immédiatement en tête. Faute de leadership du côté occidental, face aux facéties dangereuses de Vladimir Poutine, il est impossible de déterminer l’avenir de ce pays parti à la dérive depuis sa soi-disant révolution. Les pourparlers, qui avaient abouti à un accord, se sont avérés totalement inutiles, inefficaces et désuets. Ils n’étaient là que pour calmer les esprits et nous jeter de la poudre aux yeux. Depuis, le pays repose sur un baril de poudre qui peut sauter à tout instant. Le monde observe, anxieux, l’impasse dans laquelle est plongé tout un peuple au bord de la guerre civile. Les Russes, jugés à priori responsables de cette impasse, tout en attisant le feu, maintiennent leur position. Les forces de l’Otan, pour leur part, tentent d’en adopter une, commune, sans grande conviction. Nous sommes en pleine fiction. Harper envoie, pour la forme, quelques avions dont l’utilité peut être sérieusement remise en question. Par peur du ridicule, il n’a pas osé envoyer notre force maritime qui moisit en cale dans des chantiers navals pour réparation. Le quelque million d’Ukrainiens d’origine, vivant au Canada, lui en sera reconnaissant lors des élections fédérales de 2015, susurrent les mauvaises langues, dont je fais partie. En attendant de futurs développements, la situation en Ukraine demeure encore, et pour un bout de temps sans doute, dans l’impasse. Face à ce relent de guerre froide, il faut pouvoir garder son sang- froid.
Je passe d’une impasse à l’autre en faisant une petite place aux négociations entre Palestiniens et Israéliens qui démontrent jusqu’à quel point la mauvaise foi demeure un obstacle insurmontable pour se sortir d’une impasse. Toute la diplomatie déployée ne peut venir à bout des bâtons mis dans les roues d’une possible entente. La construction de nouveaux bâtiments, dans les territoires occupés, démontre le peu d’intérêt qu’éprouve le gouvernement israélien de parvenir à un accord. L’impasse semble leur convenir. La méfiance, de part et d’autre, creuse le fossé, devenu gouffre, qui les sépare. Quand les hommes vivront d’amour, chantait Raymond Lévesque. De toute évidence jamais personne n’a fredonné cet air au Moyen-Orient. Notamment en Syrie, où nous ne sommes plus dans l’impasse. Nous sommes bien au-delà. Nous sommes dans l’antichambre de l’enfer, lieu de rencontre de toutes les impasses. Et l’enfer en Syrie, ce n’est pas que les autres. C’est surtout lui. Lui, Assad, le guide suprême de l’infamie qui s’accroche au pouvoir par les dents et surtout par les armes chimiques. Il faut reconnaître qu’il n’est pas seul dans son œuvre de destruction. Ses ennemis aussi commettent des exactions qui pourraient nous faire croire qu’un Assad vaut mieux que deux tu l’auras.
Impasse aussi en Iran, en Égypte, en République Centrafricaine, et j’en passe, car des impasses politiques, il n’en manque pas. Des impasses dues aux passions souvent mal placées, ça court les rues. Des rues sans issue.
Les impasses environnementales non plus ne font pas défaut. Les constructions des oléoducs Keystone, XL et Northern Gateway, au grand désarroi de Stephen Harper, sont loin d’être finalisées. Obama vient de se donner un peu plus de temps de répit avant de rendre sa décision. Notre impatient Premier ministre n’apprécie pas du tout cette nouvelle impasse. Il l’a fait savoir. La pilule passe difficilement. Il a du mal à l’avaler.
Devant toutes ces impasses, je conçois qu’un certain désespoir puisse s’installer. Mais il y a les paroles d’une chanson (une autre) de Leonard Cohen qui me reviennent en tête. Il dit, entre autres, je le paraphrase, qu’en tout chose il y a des fissures, des interstices et que c’est par là que la lumière entre, qu’elle pénètre. Alors, je m’accroche à cette idée, sachant aussi que, confronté à une impasse, il n’est pas impossible de faire marche arrière, de revenir sur ses pas afin de reprendre le droit chemin. Est-ce que nos leaders d’aujourd’hui en sont capables ? J’ai de la peine à l’imaginer. Ils n’ont pourtant qu’à venir faire un tour à Richmond pour se rendre compte que c’est possible.