250 000 : c’est le nombre approximatif d’orphelins envoyés, entre 1854 et 1929, dans l’Ouest des Etats-Unis dans le cadre de l’Orphan Train movement, pour être adoptés par des familles d’accueil censées leur offrir un foyer, mais qui bien souvent les utilisaient comme main-d’œuvre bon marché. C’est leur histoire méconnue que Philippe Charlot et Xavier Fourquemin relatent dans Le Train des Orphelins, une Bande Dessinée captivante en quatre albums.
La série s’ouvre sur une rencontre houleuse entre deux vieil-
lards qui semblent se retrouver après une longue absence. On est aux États-Unis dans les années 1990. On ne sait pas encore de quoi il s’agit mais on comprend qu’un lourd secret est en jeu, ce qui crée un suspense qui servira de fil directeur à la série et qui d’emblée attise la curiosité.
On est alors transporté, par retour en arrière, dans les années 1920, dans la jeunesse de ces personnages. Jim Smith, 8 ans, s’apprête à embarquer avec son petit frère Joey à bord du « train des orphelins. » Ils ne savent pas ce qui les attend et continuent de se persuader que leur père viendra les chercher quand il gagnera plus d’argent. Commence alors un long voyage mouvementé, au cours duquel ils apprendront la valeur de l’amitié et de l’entraide, mais recevront aussi leur lot de déceptions et de trahisons de la part de ceux prêts à tout pour arriver à leurs fins. Ils finiront par être séparés, à l’instar de la série qui se divise alors en deux diptyques consacrés chacun à l’un des frères.
Le premier cycle – Jim et Harvey – se concentre sur le parcours de Jim qui se retrouve avec Anna, sa jeune soeur et son copain frondeur Harvey, qui va lui usurper son identité pour être adopté par une famille aisée. Ce sont de loin les albums les plus palpitants car le lecteur est tenu en haleine par le mystère qui entoure la façon dont Harvey est devenu Jim. La double narration, alternant entre les années 1920 et 1990, distille des indices qui permettent de reconstituer le passé des personnages et de voir ce qu’ils sont devenus 70 ans après et comment leur déportation les a affectés. L’intrigue est bien menée et riche en détails historiques qui permettent d’en apprendre beaucoup sur cet épisode méconnu de l’histoire américaine. Rien que pour cela, cette lecture vaut le détour.
Le deuxième diptyque reprend les mêmes ingrédients en suivant Joey et Lisa, une autre orpheline du groupe, plus âgée, qui le prend sous son aile et qu’il ne quittera plus, dans leur périple pour retourner à New York et retrouver Jim.
Côté texte, les dialogues sonnent juste, avec d’une part le langage soutenu et chargé de références des classes aisées et de l’autre le langage écorché des orphelins. Cela crée une impression d’authenticité qui est renforcée par le trait semi-réaliste de Fourquemin, dont les décors sont très travaillés et fidèles aux deux époques. Il en résulte un récit émouvant, parfois même révoltant, qui fait ressortir la dure réalité vécue par ces orphelins déracinés, traités avec peu d’égards et souvent exploités.
Cependant, cette noirceur est atténuée par la représentation plus caricaturale des personnages, dont les traits, accentués, sont très expressifs et font ressortir le caractère bien déterminé de chacun: de la riche veuve Goswell, persuadée de faire une bonne action en soutenant l’Orphan Train Society, à Coleman, un homme sans scrupules qui utilise le train des orphelins pour couvrir son trafic d’enfants, c’est toute une galerie de personnages inquiétants ou attachants, sympathiques ou fourbes, qui vient donner vie à ce tableau évocateur d’une époque. Un vrai coup de coeur !