Alors que le bureau d’architectes bâlois, Herzog & de Meuron vient d’être choisi pour concevoir le nouvel écrin de la Vancouver Art Gallery et que 2013 a marqué le centenaire de l’établissement du Consulat général de Suisse à Vancouver, La Source s’intéresse à ces Helvètes qui ont déménagé leurs pénates dans la « ville de verre ».
« Vancouver est une petite Suisse », confie Melodie Zali, originaire d’Yverdon-les-Bains, arrivée comme une fleur il y a trois ans dans le sillon de sa grande soeur, mariée à un joueur de football
suisse recruté par les White Caps. « La ville a cette même capacité de me mettre de la poudre aux yeux, de par son paysage et ses montagnes environnantes. » Aurait-on plus d’une raison de l’appeler « la Suisse du Pacifique » ?
Paradoxalement, depuis 1850 et l’arrivée dans la province du premier Helvète, le chercheur d’or George Stelli, de nombreux Suisses y ont songé au moment de prendre leurs cliques et leurs claques, imaginant ici, entre cimes enneigées, plages et crachin, un coin de « paradis » propice à l’évasion (tout sauf fiscale) et à l’ascension (parfois sociale). Un milieu naturel d’élection, pas si éloigné de la « micro-Suisse » natale, en même temps qu’un vaste Nouveau Monde. De nos jours, les quelque 40 000 Suisses installés au Canada peuvent même avoir le sentiment de vivre dans une « république soeur », du fait que la Suisse et le Canada sont des fédérations ayant une langue officielle en partage : le français.
Dans le cas de Melodie Zali, « l’envie d’ailleurs » et « l’angoisse de vivre 60 à 80 ans au même endroit» ont motivé le départ. « Le Canada ne m’attirait pas particulièrement, mais j’ai suivi le mouvement ». Après quelques tâtonnements, Melodie trouve La Boussole, centre communautaire francophone du Grand Vancouver. Bien accueillie, elle a le sentiment que « tout y est possible ». Coordonnant aujourd’hui les activités culturelles et sportives, elle oriente également les immigrants dans leurs démarches, démêle la paperasse et les accompagne à leurs rendez-vous. Mais au-delà, pour beaucoup de ceux qui passent par son bureau sur East Broadway, elle est « simplement là, un repère et un lien qui permet de se confier. » Peut-être plus qu’à Vancouver, Melodie a trouvé son « chez elle » à La Boussole, ce qui ne l’empêche pas de s’interroger sur le long cours. Comprenant que sa vie est « ici », en Suisse du Pacifique, mais « remuée » par la distance, elle n’exclut pas de retourner un jour « là-bas ». Début de ressac ?
L’histoire de ces mouvements migratoires et des liens qui en résultent sont au cœur d’un ouvrage passionnant commandité l’an dernier par le Consulat général de Suisse à Vancouver pour marquer le centenaire des relations officielles entre la Confédération helvétique et le Canada occidental : Swiss Immigration to Canada – Achievements – Testimonies – Relations. L’auteur, Ilona Shulman Spaar, y raconte les aventures de plusieurs Suisses qui se sont implantés au nord du 49e parallèle, notamment à Vancouver, il y a 100 ans et plus, souvent en quête d’une vie meilleure.
On y retrace entre autres le parcours de Samuel Gintzburger, né en 1867 à Neuchâtel, qui fait le grand saut outre-Atlantique à l’âge de 20 ans. Pionnier, Samuel Gintzburger montre vite l’étendue de ses ardeurs : il acquiert 65 hectares de terres agricoles, commerce avec les autochtones, chasse le phoque, s’essaie aux mines d’argent et cherche l’or, avant de fonder sa compagnie sur la rue Cambie. Samuel Gintzburger est « en affaires ». Dépeint comme l’un de ses citoyens les plus « pittoresques », avec son orchidée à la boutonnière, il s’implique dans toutes les sphères de la vie de Vancouver et devient rapidement un homme qui compte. C’est à sa demande qu’une représentation suisse est ouverte à Vancouver, en 1913. Il est nommé, de « consensus », premier consul – fonction qu’il occupera jusqu’à sa mort, en 1927.
Parmi ces Suisses qui se sont, à bien des égards et parfois hors des sentiers battus, fondus au paysage, citons également l’architecte d’origine genevoise Frédéric Lasserre, arrivé au Canada en 1921, connu comme un ardent promoteur du style International Modernism. Embauché par UBC en 1946, il y dirige l’École d’architecture. Outre l’édifice nommé en son honneur, on peut voir sur le campus plusieurs de ses réalisations. Frédéric Lasserre meurt accidentellement en 1961, lors d’une marche en montagne… sûrement dans son élément, puisque 15 sommets des Rocheuses portent les noms de guides de montagne suisses recrutés à la fin du XIXe siècle par le Canadien Pacifique pour développer le tourisme et l’alpinisme.
Swiss Immigration to Canada – Achievements – Testimonies – Relations par Ilona Shulman Spaar Publié par le Consulat général de Suisse à Vancouver en 2013. 240 pages richement illustrées, 25$