Le Western Front accueille Casey Wei

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Créé en 1973 par huit artistes de Vancouver, le Western Front des origines établit clairement son mandat : créer un espace de production et de (re)présentation géré par des artistes contemporains locaux cultivant leur créativité dans de multiples disciplines. Privilégiant l’expression audio-visuelle, les concerts de musiques expérimentales, les ateliers ainsi que les arts de la scène, le Western Front doit servir de laboratoire de recherche et d’exploration de nouvelles formes de pratiques artistiques interdisciplinaires. Nous sommes alors dans les années 70 et 80 et l’interdisciplinarité est très en vogue.

Quarante ans plus tard, le pari est tenu, puisque le Western Front s’est imposé au Canada et même dans le monde, jouant un rôle majeur dans le développement et la diffusion des plus grands noms de la musique électronique et des arts visuels et médiatiques. Situé dans le Lodge Hall, dans le quartier de Mount Pleasant, à Vancouver, le centre a vu défiler d’innombrables vidéastes, écrivains et poètes, chorégraphes et troupes de danse, compositeurs et artistes visuels à la recherche de nouvelles frontières à repousser pour exprimer leur vision. Doté d’une bibliothèque et d’un centre d’archives unique, le Western Front a même eu sa publication dédiée aux genres littéraires jusqu’en 2011 : le Front Magazine.

Go West, Young Woman!

Le Western Front accueille, du 23 mai au 27 juin, l’artiste « farouchement » multidisciplinaire Casey Wei.

Née à Shanghai en 1985, Wei fait ses études à l‘Université de Colombie-Britannique, où elle obtient un baccalauréat en arts, en dépit d’une expérience académique qu’elle qualifie de difficile, se sentant en décalage avec les méthodes d’enseignement. Elle y découvre malgré tout un sujet qui va bouleverser sa vision d’artiste : le cinéma japonais de l’après-guerre, avec ses grands maîtres tels que Ozu, Kurosawa et Mizuguchi. Le parcours académique de Wei se poursuit à l’Université Simon Fraser, en arts contemporains, où elle s’épanouit plus facilement et obtient son diplôme en 2012. Le succès a rapidement suivi, puisqu’elle est lauréate du prix CRSH Bombardier Canada du Conseil de recherches en sciences humaines. L’hommage contribue à la faire connaître sur la scène artistique.

L’artiste Casey Wei. | Photo par Casey Wei.

L’artiste Casey Wei. | Photo par Casey Wei.

Un art du morcellement
Décrire l’œuvre de Casei Wei est une gageure. Farouchement multidisciplinaire, son champ d’exploration couvre l’installation, la musique et le son, le texte et le visuel. C’est toutefois comme cinéaste/vidéaste que l’artiste donne à voir au Western Front. Sa technique se rapproche du collage. Remettant en question les codes de l’art contemporain, Wei s’inspire de la « grammaire » et du langage filmiques, de ses syntaxes et de la sémiotique, tel un artiste structuraliste pour exprimer un idéal romantique, mais dépourvu de nostalgie, sur les mutations de l’identité humaine. Son processus de création commence toujours à partir d’une narration, un roman, un poème ou une citation, qu’elle « enrichit » de visuels parfois filmés, mais souvent « trouvés » sur la Toile. Elle crée ensuite une nouvelle expression en détournant leurs sens en les situant dans un nouveau contexte. On pense à The Laughing Man, collage inspiré d’une nouvelle de Salinger, ou à Papier Mache Bone, à la fois hommage et critique irrévérencieuse de la photo-conceptuelle à la Rodney Graham.

Voyage of a Laughing Man/Girl Laughing par Casey Wei

L’esthétique de « l’image pauvre » ou encore de l’appropriated footage, comme elle l’appelle, est pour Wei une expression tout à fait contemporaine, en raison de l’énorme disponibilité d’images en ligne, mais aussi compte tenu des réalités historiques, sociales et économiques du monde d’aujourd’hui. De là naît son style non-linéaire, qui se traduit en essais-collages, mélangeant pêle-mêle toutes sortes de références.

Murky Colors par Casey Wei

Murky Colors from kc wei on Vimeo.

Les incursions de Casey Wei dans le cinéma sont tout aussi édifiantes. Son premier moyen métrage, Murky Colours, explore l’intimité des relations familiales et le passé culturel de son pays d’origine à travers des récits retrouvés de son père. Plus récemment,son ambitieux « documentaire-travelogue » Vater und Sohn/Father and Son, présenté à la Cinémathèque du Pacifique de Vancouver et construit à partir d’entrevues, retrace les origines de la célèbre bande dessinée de l’Allemagne nazie à la Chine maoïste. Elle y explore les relations et les liens entre différentes cultures, mais surtout l’échec du modèle utopique et comment l’histoire peut être fabriquée et reconstruite par la politisation de l’image.

Father and Son par Casey Wei

Vers de nouveaux horizons

En accord avec Sarah Todd, conservatrice des médias du Western Front, et dans le cadre du programme Artists in Residence, Casey Wei est dans la phase de gestation de son nouveau projet inspiré par Kingsgate Mall, un petit centre d’achats situé aux coins de Broadway et Kingsway. Le point de départ de cette nouvelle exploration est donc un endroit plutôt ordinaire et banal, tel un témoin d’une époque déjà bien révolue. L’artiste y sera en activité chaque semaine durant le mois de juin. De la musique à la littérature, du marché aux puces aux installations et expositions, ses pérégrinations créatives et exploratoires seront filmées. Pourtant, loin des controverses qui entourent l’immobilier et les problèmes de gentrification, le film retraçant cette expérience ne sera pas un pamphlet politique, mais plutôt une célébration d’un quartier et d’une communauté en transition. Le résultat final sera pour Casey Wei une invitation au « mélange », un hommage aux « petites gens », une sorte de canevas blanc qui serait perçu et interprété différemment selon le spectateur tout en offrant la possibilité d’un renouvellement de nos valeurs et de l’écosystème urbain de Vancouver. Vivement l’automne pour la projection de ce nouveau
projet !

Casey Wei en résidence au Western Front.   23 mai au 27 juin.  303 8 Ave E, Vancouver