L’Europe est sans aucun doute la meilleure région du monde pour se déplacer à bicyclette. Pourtant, ça n’a pas toujours été le cas. Dans les années 60 et 70, en Europe de l’Ouest, la dure période de l’après-guerre n’était plus qu’un mauvais souvenir qui s’estompait rapidement pour faire place aux joies de la société de consommation. La bagnole s’est mise à tout dévorer, l’espace public et les budgets de l’État. Les vieux arbres, plantés pour donner de l’ombre aux usagers des routes, ont été abattus pour élargir les chaussées. Les jolies places de villages ont été débarrassées de leurs arbres et fontaines pour créer des stationnements. Ceux qui ne pouvaient pas se payer de voitures optaient pour le Solex, la mobylette et autres vélomoteurs bruyants et polluants. Le vélo était vu comme une distraction, un amusement, un sport, mais pas comme un moyen de transport sérieux. Même aux Pays-Bas, la bicyclette commençait à être considérée comme un anachronisme gênant.
Ce n’est que dans les années 80 que le vélo a repris du poil de la bête. En Hollande et au Danemark, où le lobby des constructeurs automobiles ne pesait pas lourd, les gouvernements ont commencé à construire sérieusement des infrastructures à même de ramener le vélo au cœur des politiques de transport. En Angleterre, en France ou en Allemagne, les cyclistes étaient encore perçus comme des excentriques écolo-alternatif-baba cools, mais ils devenaient nombreux et revendicateurs au point qu’il devenait difficile de les ignorer, surtout pour les politiciens qui venaient de découvrir les avantages de l’écologie électorale.
En 1994, la fédération européenne des cyclistes, appuyée par l’Union européenne, a lancé un grand projet de véloroutes à travers le continent. Il s’agit de construire un réseau de 70 000 kilomètres de voies cyclables d’ici 2020. Le projet est au deux tiers complété. Certes, ce réseau n’est pas de qualité égale partout. Il existe des pistes cyclables physiquement séparées de la circulation automobile qui ont été construites sur des anciennes lignes ferroviaires et sur les chemins de halage qui longent les canaux. Mais ailleurs, ce ne sont encore que des chemins de terre battue, ou, pire, de simples lignes de démarcation peintes sur la chaussée d’une route. La quantité et qualité des ces véloroutes varient d’un pays à l’autre. En Grande-Bretagne, par exemple, les budgets n’ont jamais été à la hauteur des ambitions affichées, même si le nombre de cyclistes augmente rapidement depuis quelques années. En Europe de l’Est, ça ne semble pas être une grande priorité. Dans certaines villes d’Europe du Sud, ça prend beaucoup de courage (ou d’inconscience) pour se déplacer à vélo. Mais d’une manière générale, à travers l’Europe, la bicyclette est redevenue à la mode.
Si les réseaux routiers et urbains s’adaptent tant bien que mal au retour des vélos, on ne peut pas toujours en dire autant des chemins de fer. Logiquement, train et vélo devraient aller très bien ensemble. Si vous posez la question de savoir si l’on peut prendre le train avec son vélo, la réponse est oui… Théoriquement. En pratique, ça dépend des pays, du type de train, des heures, etc… Dans certains cas, il faut démonter et emballer son vélo et le placer dans une housse spéciale avant de pouvoir l’embarquer dans un wagon. Certains trains ne peuvent embarquer que deux vélos. Dans certains cas, c’est gratuit. Dans d’autres, il faut acheter un billet vélo. Dans certains cas, ces billets ne s’achètent qu’au guichet de la gare alors que dans d’autres cas on peut les acheter sur internet. C’est tellement compliqué que les employés des chemins de fer s’y perdent. Un contrôleur à bord d’un train peut vous faire payer une amende pour avoir bloqué le passage avec votre vélo même si un autre employé, à la gare de départ, vous a dit qu’il n’y aurait pas de problème. Si vous prenez un train en France à destination d’une ville en Allemagne il vous faut un billet de vélo pour la portion allemande du trajet, mais il est impossible d’acheter ce billet en France. En désespoir de cause, certains vont sur internet pour demander à d’autres cyclistes comment ils se sont débrouillés pour amener leur vélo sur le train entre telle et telle ville. Les réponses sont souvent cocasses. Sur les sites français beaucoup expliquent les mille et une manières de tricher plutôt que d’essayer de comprendre une réglementation trop compliquée et souvent contradictoire. Pour ceux qui font surtout du vélo en milieu urbain, la bicyclette pliante est de plus en plus populaire car elle permet d’emprunter sans problème tous les transports publics.
Les compagnies de chemin de fer subissent des pressions de plus en plus fortes des lobbys de cyclistes et plusieurs d’entres elles promettent d’améliorer leur capacité d’accueillir les vélos à bord des trains, mais ces changements prendront du temps. Elles devront bien s’y mettre car tout le monde s’accorde à dire que le grand retour de la bicyclette n’est pas une mode passagère, mais un profond changement de société qui balaie toute l’Europe.