Voilà, c’est fini. Après cinq années passées au Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique (CSF) en tant que responsable des relations publiques, Pierre Claveau a démissionné de son poste début avril en raison de divergences stratégiques avec la nouvelle direction. Journaliste à Radio-Canada pendant plus de trente ans, le jeune retraité originaire du Québec, qui réside en Colombie-Britannique depuis 1979, porte un regard particulier sur l’évolution et l’actualité d’une communauté francophone dont il a longtemps été un témoin privilégié.
La Source : Dans quel contexte êtes-vous entré au CSF ?
Pierre Claveau : C’était en 2009, deux ans après avoir pris ma retraite à Radio-Canada. J’ai tout d’abord repris le poste de directeur de la communication avant de demander à changer de titre au profit de responsable des relations publiques. Je trouvais que des missions de relations publiques collaient davantage avec les besoins. A cette époque, le CSF n’était pas forcément aimé et connu dans la communauté. Il avait une image un peu snobe auprès des organismes francophones, qui ne l’approchaient pas. Il fallait que le CSF devienne une structure forte et reconnue au sein de sa communauté.
L.S. : Comment avez-vous procédé ?
P.C. : On s’est attaché à créer un sentiment d’appartenance. J’ai rédigé en ce sens un protocole d’inclusion communautaire pour que les francophones identifient l’institution comme un membre de la communauté. On a développé un mandat de soutien aux organismes communautaires pour que les enfants puissent se reconnaître dans la communauté francophone lors de leurs activités extra-scolaires. Quand ils participent par exemple au Festival du Bois de Maillardville et qu’ils entendent parler français autour d’eux, cela a un impact sur leur processus d’identification à la communauté francophone. C’était une vision un peu philosophique qui est désormais en péril depuis le départ de certaines personnes au CSF et notamment de son directeur général Mario Cyr en décembre dernier.
L.S. : Quel regard portez-vous sur la communauté francophone de Colombie-Britannique?
P.C. : De manière générale, la communauté francophone de la province est très diverse avec plus de 80 différents pays d’origine pour les membres qui la composent. Rien que dans les écoles du CSF, plus de 50 langues sont parlées. Il n’y a pas une culture francophone mais des cultures francophones. D’ailleurs, il est difficile pour les membres de notre communauté de citer des référents culturels communs. Il s’agit d’une mosaïque alors que la communauté anglophone ou encore chinoise représentent une masse bien identifiée.
L.S. : Depuis votre arrivée dans la province en 1979, la francophonie institutionnelle a-t-elle évolué
P.C. : Lorsque je suis arrivé dans la province, il y avait ici des gens d’une force inimaginable qui vibraient beaucoup politiquement. Les réunions institutionnelles étaient très animées, si bien que Radio-Canada venait même couvrir ces rendez-vous où il se passait toujours beaucoup de choses. Aujourd’hui, la francophonie a changé. De façon générale, les organismes francophones doivent faire face à des coupures dans les subventions. Pour s’adapter et répondre aux exigences des financeurs, ils se tournent maintenant vers les francophiles, ce qui n’est pas forcément une bonne chose.
L.S. : Ne pensez-vous pas que de promouvoir la langue française chez les anglophones soit un bon moyen de défendre la culture francophone ?
P.C. : Il ne faut pas confondre la promotion de la langue française et la protection de la culture francophone. Que les anglophones souhaitent apprendre le français parce que cela leur procure un bénéfice culturel ou dans le monde de l’emploi, je le comprends parfaitement. En revanche, je ne pense pas que les anglophones, même francophiles, s’intéressent à la défense de la culture francophone. Par exemple, dans le cadre du procès sur l’éducation qui oppose actuellement le CSF au Gouvernement de Colombie-Britannique, des articles parus dans de grands médias anglophones locaux ont été commentés sur des forums en ligne dans lesquels on pouvait lire des aberrations du type « déportez-les » ou « renvoyez-les au Québec ». On estime qu’il y a de nos jours 300 000 francophiles dans la province. Mais combien en avez-vous entendus monter au créneau pour défendre les intérêts francophones ?
L.S. : Faudrait-il un changement d’orientation?
P.C. : Les anglophones sont maintenant entrés dans le cadre et ils n’en sortiront pas. Je crois même que d’ici 5 à 10 ans les écoles membres du CSF seront bilingues plutôt que francophones et que les réunions des conseils d’administration devront avoir lieu en français et en anglais. Plutôt que de concentrer les efforts sur les francophiles, je pense qu’il faudrait s’efforcer de garder un cap politique fort pour donner une identité à cette communauté francophone diverse. En Acadie ou au Québec, la défense de la culture francophone est plus facile parce que ces provinces bénéficient déjà d’une identité francophone forte.