Quelques lignes du journal de son arrière-arrière-grand-mère, émigrante norvégienne en Amérique dans les années 1850 : il n’en fallait pas plus pour titiller la plume de l’auteure américaine à succès Margi Preus (Heart of a Samurai, Shadow of the Mountain). Dans West of the Moon, elle propose un récit captivant mêlant légendes scandinaves et réalité historique de la Norvège du 19e siècle, et fait une fois de plus montre de son incroyable talent de conteuse.
Depuis la mort de leur mère et le départ de leur père pour l’Amérique en quête d’une vie meilleure, Astri et Greta vivent avec leur oncle et leur tante. Jusqu’au jour où Astri est vendue à Svaalberd, un éleveur de chèvres cruel qui la traite comme une esclave. Par une audacieuse manoeuvre, elle parvient à s’échapper pour aller chercher sa soeur et partir rejoindre leur père. Accompagnées d’une mystérieuse fileuse de laine et constamment poursuivies par Svaalberd, elles entreprennent le long et périlleux voyage par-delà les montagnes et les forêts norvégiennes qui les conduira jusqu’au bateau Colombus, d’où elles essaieront de s’embarquer pour l’Amérique pour un autre voyage tout aussi mouvementé.
Pour égayer leur quotidien et garder espoir malgré les incertitudes de leur périple, Astri commence à entrecroiser la réalité avec des contes populaires norvégiens de son enfance, au point de ne faire plus qu’un. Très vite le rêve et la fiction viennent se superposer au réel, lui ajoutant une dimension fantastique peuplée d’objets magiques et de personnages aux pouvoirs surnaturels, dans laquelle Astri puise largement pour se guider et prendre les décisions qui la conduiront à son but: ainsi le méchant Svaalberg se trouve tour à tour associé au prince transformé en ours du conte L’ours-roi Valémon, puis à un « homme-troll » veillant jalousement sur son trésor; son livre de remèdes devient un livre de sorts. Finalement, l’Amérique est le pendant du château de Soria Moria tant recherché par les héros de contes, « à l’est du soleil et à l’ouest de la lune », destination ultime des héros des contes tout comme d’Astri et Greta. C’est une véritable réécriture des mythes ancestraux qui émerge de ce fascinant tissage, invitant au rêve et à l’aventure dans une odyssée pleine de rebondissements menée d’une main de maître
La force du récit vient également du personnage d’Astri, qui est magnifique. Analphabète mais pleine de ressources et dotée d’une volonté à toute épreuve, elle se bat sans relâche contre ceux qui essaient de la séparer de sa soeur. C’est un personnage féminin fort qui veut échapper à sa condition et prendre son destin en main, cassant le stéréotype de la femme en détresse ou dépendante des hommes généralement présent dans les contes et qu’on retrouve d’ailleurs chez d’autres personnages secondaires du roman. Ce contraste met d’autant plus en valeur sa personnalité hors du commun, ce qui la rend attachante. Il est également intéressant de suivre son évolution et de la voir perdre sa naïveté et gagner en hardiesse et en confiance alors qu’elle rassemble progressivement les morceaux du casse-tête de son enfance et se reconstruit une nouvelle vie avec sa soeur. West of the Moon est donc également un récit d’apprentissage, inspirant et qui sonne juste.
Finalement, malgré son apparence de conte, le roman possède un fond historique qui lui confère une réelle valeur documentaire : la Norvège rurale du 19e siècle y est dépeinte dans toute la dureté de la vie à cette époque, de la pauvreté qui pousse les gens à vendre leurs enfants, aux conditions d’hygiène sordides, en passant par la « fièvre de l’Amérique. »
Il y a même quelques épisodes de violence très réalistes qui pourraient choquer les jeunes lecteurs. Une sélection de photos et d’extraits du journal de l’ancêtre de l’auteure ainsi qu’un lexique de mots norvégiens et un dossier sur les maladies de l’époque viennent valider l’authenticité du récit et l’enrichir admirablement.
Conte, fiction historique et récit d’apprentissage, West of the Moon est un roman audacieux et captivant qui vaut le détour. A partir de 10 ans.