C’est une belle série de dessins et d’estampes que nous propose l’artiste Saskia Jetten à la Burnaby Art Gallery. L’exposition, plutôt intimiste composée d’une vingtaine de pièces et d’un mini-film style « stop-motion », nous invite à découvrir son monde à la fois (ir)réel et ludique.
L’artiste néerlandaise Saskia Jetten nous présente plusieurs facettes complémentaires de son travail. Née à Voorburg, aux Pays-Bas, en 1968, elle grandit dans un milieu rural et sa prime enfance semble avoir marqué à tout jamais sa vision d’artiste.
Diplomée de l’Académie Royale des Beaux-Arts de La Haye, elle se fait remarquer très tôt par maintes prestigieuses galeries. S’ensuivent plusieurs expositions dans son pays natal, en Europe et en Amérique. La passion qui l’anime est la recherche des possibilités techniques et des applications dans un genre pourtant traditionnel : l’estampe. Ses œuvres en explorent les limites pour atteindre un nouvel équilibre entre l’imprimé et la sculpture, exprimant un point de vue à la fois novateur et personnel.
Une exposition fortuite à la Biennale de Trois-Rivières, au Québec lui fait découvrir le Canada et ses vastes territoires inhabités. Dès lors, son sens de l’espace géographique est bouleversé.
Depuis 2012, Saskia Jetten vit en Colombie-Britannique, dans la vallée du Fraser. « J’étais à la recherche d’un changement d’espace, mais aussi d’un contact plus étroit avec mon public. Je me suis vite sentie attirée par les forces quasi telluriques de la nature en Colombie-Britannique et le rythme de vie très proche de mes rêves d’enfance. » Saskia Jetten est également membre de l’organisation Malaspina (CARCC), sur l’île de Granville, et enseigne les Beaux-Arts et les techniques de l’estampe
non-toxique.
Jeux de masques…
Si la technique de Saskia Jetten tend vers l’innovation, les thèmes convoqués par l’artiste sont universels. Au travers de personna-ges qui habitent son monde intérieur, tels les clowns, des images de l’enfance surgissent. Ses personnages dessinés rappellent vaguement ceux de La planète sauvage de Topor, comme dans son œuvre Child, aquarelle et crayon sur papier, ou encore des personnages à la Disney. Chacune des pièces de Jetten débute à partir d’une narration simple, qui rapidement se masque ou se démasque.
… jeux de miroirs
Le masque est au cœur de l’expression artistique de Saskia Jetten : c’est une métaphore sur le sens de l’identité personnelle. Un masque, par définition, cache un visage pour en dévoiler un autre. Mais quel est cet autre ? Qui cache-t-on derrière ce masque ? Serait-ce plutôt une révélation de soi ? Et le regard des autres… qui voit-t-il? Comme elle l’exprime si bien : « Si mes dessins deviennent pour le spectateur un jeu de miroirs, que représentent-ils ? La réalité… ou une illusion de la réalité ? » Dans son œuvre Reflection, encre, aquarelle et fusain sur papier, des questions sans réponses sont ainsi exprimées dans ces visages à la fois puérils et fantasques. La technique et les matières utilisées sont aussi variées que le collage, le graphite, la lithographie, la gravure sur bois et la pierre, sans oublier la soie et la céramique, pour ne nommer que celles-là. L’utilisation des couleurs est tout aussi intéressante, oscillant entre des nuances chaudes de l’orange et du rouge et des couleurs neutres. « Les textures sont connectées, car je tiens à souligner la richesse de leurs diverses personnalités et singularités. »
Ce qui frappe aussi chez Jetten, c’est le côté fantasque de son travail. « Le clown symbolise l’origine théâtrale et ludique de mon inspiration artistique. À ses sources, que ce soit la tragédie grecque ou plus tard la Commedia Dell’Arte, le théâtre est la base de notre vie quotidienne, permettant des réflexions sur les thèmes universels de l’anxiété, de l’aliénation et de la mélancolie », dit elle. « Je suis fascinée par les gens et par leur vérités profondes, mais surtout par les manières dont ils se projettent sur le monde externe. »
L’art et sa fonction
Cette recherche de la réalité devient une recherche sur le but ou la finalité d’une œuvre d’art. Le travail de Jetten évolue vers l’expérimentation, par la création de pièces « concrètes » qui ont leur place et une fonction précise dans la vie quotidienne, une sorte de quatrième dimension. C’est le cas pour Fabric Faces ou encore pour Cape et ses imprimés sur une chemise transparente. Les images « fabriquées » sont en trois dimensions, remplies de fibres et suspendues. « J’aime les objets réels et tactiles qui ont leur place dans l’espace quotidien».
Si l’art de Saskia Jetten est une recherche personnelle sur le sens de l’identité, sur sa quête ou sa perte et même sur l’exil, il s’exprime avec subtilité, dans un jeu d’ombres et de lumières. Saskia Jetten évolue dans un monde à la fois familier et surréel, comme dans Monkeys with Skirt. « C’est une passion et une émotion que je nourris tout au fond de moi, et que j’exprime sur le papier et sur l’estampe, une matière qui m’est si chère. C’est à propos du mouvement… ceux que l’on gagne et ceux que l’on perd. »
Saskia Jetten
Jusqu’au 22 juin à la Burnaby Art Gallery
Présentation de l’artiste le 5 juin