Ils se tenaient devant moi, sous mes yeux ébahis. Deux hommes au teint légèrement hâlé et au sourire éclatant, forcément bien habillés. La complicité qu’ils affichaient avec un naturel désarmant était sans équivoque : ces deux-là partageaient davantage qu’une simple amitié.
Voir deux homosexuels la main dans la main ou s’embrasser en public à Vancouver n’a rien d’exceptionnel ou de choquant. Depuis mon arrivée en janvier, j’en ai croisés et en croiserai encore. Sauf que ce couple qui attira mon attention en cet après-midi d’avril était aussi convaincant qu’irréel.
Je me tenais face à la devanture d’un magasin d’une célèbre chaîne de prêt-à-porter au centre-ville, quand j’ai soudain remarqué, en fond de vitrine, cette publicité pour la collection été mettant en scène ces deux amants imaginaires. Apposée à côté, une autre pancarte : même taille, même graphisme, autres vêtements, autres mannequins. Un homme et une femme cette fois.
Au Canada, et en particulier ici en bordure du Pacifique, l’acceptation des différences a dépassé le stade de la tolérance. Elle est devenue une évidence. Je n’ose imaginer le nombre de personnes en France qui écarquilleraient les yeux et soupireraient en découvrant pareille publicité. Les torrents de discours homophobes déversés l’année dernière avant l’adoption de la loi autorisant le mariage des personnes de même sexe me laissent imaginer qu’elles pourraient remplir le BC Place Stadium un soir de match de hockey disputé par les Canucks.
La France a beau s’enorgueillir d’être la patrie des Droits de la personne, elle oublie parfois d’accorder ses violons. En comparaison, Vancouver fait office d’avant-gardiste. Être tatoué de la tête aux pieds, avoir le jean déchiré et le nez percé ou porter un voile, rien de plus banal. Coincée entre mer et montagnes, la ville a de quoi faire rêver. Elle me fascine.
Qu’importe mon niveau d’anglais rudimentaire qui contredit ce qu’on m’avait dit : « L’immersion ? Il n’y a rien de mieux ! » ou bien encore « C’est l’affaire de deux ou trois mois. Allez, quatre à tout casser ! » J’en suis à mon cinquième et malgré plusieurs sessions de cours intensifs dans une école privée de Coal Harbour, la langue de Shakespeare demeure pour moi le sommet d’un de ces gratte-ciel en verre que je me désespère d’atteindre. À défaut de m’exprimer avec aisance et nonchalance, je contemple.
J’observe ces voyageurs qui disent merci au chauffeur en descendant du bus, ces gens qui promènent leur chien et ramassent les déjections de leur animal, ces sportives aux mollets galbés, un tapis de yoga sous le bras. Je remarque toutes ces pistes cyclables et ces poubelles multicolores accolées les unes aux autres. Chacune étant destinée à recevoir un type précis de détritus. Il s’agit de ne pas se tromper : trier ses déchets à Vancouver peut s’avérer plus compliqué qu’il n’y paraît.
En même temps, je constate le nombre incalculable de gobelets en plastique avec couvercle – la paille en fonction de la boisson – utilisés et jetés quotidiennement. Je vois ces sans-abri qui dorment sur les trottoirs et ces clients qui mangent plus qu’ils ne le peuvent dans certains restaurants. Ceux-là même qui achètent leur nourriture dans les supermarchés au format XXL. Le sourire amer, je paie tous les mois mon loyer au montant que je sais plus élevé qu’ailleurs au Canada.
« Le temps clément a un prix », m’a-t-on dit. Le cadre de vie aussi.
Vancouver la pluriculturelle, Vancouver la belle verte, Vancouver écrin de la consommation… On aura beau les répéter, quitte à lasser, ces vérités ne valent rien tant qu’on ne les a pas expérimentées. Vancouver n’est pas le paradis, mais vaut la peine de s’y arrêter.