Malheureusement, toute bonne chose a une fin. C’est ce que je me suis dis en voyant l’élimination de l’Espagne au championnat du monde de football tenu au Brésil. Après avoir été humiliés par les Pays-Bas puis par le Chili, les Espagnols, tenants du titre et l’autorité suprême en la matière depuis plus de six ans, doivent rentrer chez eux la tête basse et le ballon entre les jambes.
Partis parmi les grands favoris de ce tournoi, ils s’en retournent chez eux bredouilles, ébahis et déconcertés. Que s’est-il passé ? Comment peut-on tomber de son piédestal sans en avoir reconnu auparavant les signes avant-coureurs, me suis-je demandé au lendemain de cette élimination non prévue au programme ? À bien y réfléchir, après un certain recul et un besoin d’objectivité, je dois admettre qu’il y avait quelques indices (défaites et difficultés au cours de matchs amicaux, élimination l’an dernier à la coupe des confédérations) qui auraient dû me mettre la puce à l’oreille. J’aurais pu me rendre compte, à mon grand désarroi, que la suprématie espagnole touchait à sa fin. Mais non, j’ai voulu y croire. J’ai fermé les yeux sur une nouvelle réalité du football mondial. La finesse, la précision, la possession du jeu, qui étaient la marque de commerce du football ibérique, ne pouvait durer. Un jeu plus physique, plus défensif, à la recherche de l’efficacité, a pris le dessus. Nous avons donc assisté au déclin d’une génération de footballeurs superdoués mais vieillissants, qui n’a pas su assurer sa relève. Tous les empires, quels qu’ils soient, périssent un jour. Ce qui, au fond, n’est pas, a priori, une mauvaise chose. Surtout lorsqu’il s’agit de politique. Mais là, nous parlons de football (soccer pour les Nord-Américains) et je dois admettre qu’un peu à la Voltaire, je ne suis pas contre un empereur éclairé. Et l’empire de la Roja avait montré l’exemple d’un football à suivre. Nous étions tous gagnants. Mais voilà, je suis obligé de tirer le rideau sur une belle aventure footballistique.
Ce n’est pas la première fois qu’une équipe régnante se fait éliminer dès le premier tour. D’autres équipes, entre autres le Brésil, l’Italie et la France, sont passées par cette humiliation. L’Espagne s’en remettra sans doute. Elle va surtout se remettre en question dans l’immédiat. Les Casillas, les Ramos, les Piqué, les Iniesta et surtout leur entraîneur Del Bosque doivent aujourd’hui se demander ce qui leur est arrivé. Comment, en l’espace de deux matchs décisifs, sont-ils descendus si bas, surtout face aux Pays-Bas qui leur sont tombés de haut ? Et que dire de cette défaite pimentée face au Chili ?
Fait remarquable, de plus, sans doute anodin me direz-vous, il n’y a que mon esprit tordu qui a du y prêter attention : le jour même où le Roi d’Espagne Juan Carlos abdiquait en faveur de son fils Felipe VI, l’équipe d’Espagne en faisait autant en abandonnant sa couronne au profit d’un successeur pas encore désigné. Ainsi, pourrait-on conclure, la politique et le sport ne font peut-être pas toujours chambre à part comme on aimerait le croire. Pour ajouter un peu d’huile sur le feu de cette réalité, il suffit de voir les magouilles qui ont eu lieu afin que la Russie et le Quatar obtiennent la tenue des prochaines coupes du monde de football pour se rendre compte de la situation malsaine au sein de la Fédération internationale de football (FIFA). Et, puisque pour un instant je trempe les pieds dans la politique, je me permets cette brève digression en me demandant tout bas, afin que personne ne m’entende, si notre Premier ministre s’intéresse le moindrement à cette coupe du monde. Car il pourrait y apprendre quelque chose. Il pourrait saisir que tout règne a une fin et qu’il faut savoir tirer sa révérence avec élégance. Mais j’imagine que ce serait trop lui demander.
Toujours est-il que, faisant contre mauvaise fortune, bon cœur, je me mets à penser qu’en effet, cette chute de l’empire espagnol représente un mal pour un bien. Peut-être qu’un nouveau style va faire son apparition. Un jeu différent, plus spectaculaire, fera surface. Qui sait ? C’est ce que je souhaite, somme toute. Nous verrons bien, dans une quinzaine de jours, lorsque le couronnement du nouveau champion aura lieu, quelle sera la nouvelle tendance. Je m’attends donc à un renouveau du spectacle qu’offre, à ses tifosis, le football professionnel. En attendant, je suis en deuil. Je viens de perdre un ami du beau jeu qui m’était cher. Le Roi du football est mort, vive le nouveau Roi du football.