Lorsque décrite par les mains qui l’ont créée, une jolie peinture devient une œuvre pleine de sens. Les artistes philippins du groupe Dimasalang, qui exposent actuellement à la galerie Moat de la bibliothèque publique de Vancouver, présentent à La Source leur art et le sens de famille qui les unit, avec l’envie d’élargir le mouvement au-delà de la communauté philippine.
Ses yeux vous fixent. Ils ne quittent pas les vôtres. Elle n’a pas plus de dix ans, mais son expression suggère des émotions plus complexes que celles d’une si jeune fille. Elle ne sourit pas. À quoi pense-t-elle ? Techniquement, Strong Willed par Mina dela Cruz est remarquable – les mèches de cheveux caressées par la brise légère, le détail des plis de sa manche froncés autour de son bras, le rayon de soleil qui touche doucement son visage… La peinture se grave dans mes pensées.
Leo Cunanan Jr., par contraste, affiche un grand sourire en me serrant la main. Au cours de l’entrevue, il devient évident que ce sourire ne quitte pas souvent son visage. Il fait partie du Dimasalang, un groupe d’artistes philippins basé ici, en Colombie-Britannique, qui a pour lien la peinture et le dessin. Le mouvement a monté une exposition de ses nouvelles œuvres intitulée Dimasalang Expressions, qui est à l’affiche jusqu’à la fin du mois à la galerie Moat de la bibliothèque publique, au centre- ville de Vancouver. Les techniques des œuvres sont diverses – des dessins au fusain côtoient des peintures à l’huile sur lin et à l’acrylique. De paysages canadiens au Défilé de la fierté gaie en passant par des œuvres abstraites, la diversité des expressions réjouit les visiteurs.
La camaraderie et le transfert de savoirs
Écouter les artistes décrire leur art est une joie. Je commence mon tour guidé avec Rainy Day, une vue du quartier Mount Pleasant au coin de Main et de la 13e Avenue. Les phares des voitures attirent mon attention – ils illuminent la grisaille de la pluie. Mais en y regardant de plus près, ce sont les regards de deux femmes âgées qui m’arrêtent. Edgardo Lantin, l’artiste, sourit, puis confie : « Je suis content que cette scène soit là. Ce n’est pas donné… après deux, trois secondes, elle n’y est plus. Saisir ce genre de moment, c’est une chance. »
Le groupe Dimasalang met un point d’honneur à cultiver le sens de la famille entre ses membres. Les six artistes que j’ai rencontrés m’ont accueilli avec tant de chaleur que j’ai eu l’impression d’être une amie de longue date. La camaraderie est évidente. Tous me parlent de l’art de leurs pairs et m’encouragent à mettre d’autres de l’avant avant eux-mêmes. Edgardo me dit : « Nous nous aidons mutuellement à nous élever, à améliorer nos capacités ». En voyant l’aisance qui règne entre les membres du groupe, on peut bien comprendre ce sentiment. « Particulièrement Sym, ici », ajoute-t-il en faisant un signe de la main à un artiste plus âgé qui nous regarde avec un petit sourire. Sofronio Y. Mendoza, ou Sym, semble le père du groupe. Calme et modeste, il ne cherche pas l’attention, mais les autres se réfèrent souvent à lui. En décrivant son œuvre au fusain intitulée Melissa, Leo mentionne que le succès du choix du sujet est attribuable à Sym. Les liens remontent à plus loin : « Sym et mon père sont aussi de bons amis. » Les autres ajoutent : « Sym sait ce qu’il manque et il nous l’indique », dit ainsi Edgardo. « Il n’y a pas beaucoup de groupes qui bénéficient de cette aide, de cette ressource. »
Volonté d’élargir la famille
La communauté philippine de Vancouver compte quelque 80 000 personnes, ce qui en fait la troisième plus grande communauté ethnique. Est-ce que l’héritage philippin influence leur travail ? Une artiste du groupe fait un geste à Sym. « Le sarimanok », répond-elle. « Symbole du patrimoine philippin, il apparaît toujours dans ses œuvres.»
Le sarimanok, ai-je appris plus tard, est une image issue de la mythologie du peuple musulman Iranon, de l’Île Mindanao, aux Philippines. Le sarimanok est souvent dépeint avec un corps similaire à celui d’un coq, mais avec des ailes colorées. Il symbolise la fortune. Sym hoche la tête : « L’essence de ma technique de cubisme est le sarimanok. Voilà la différence entre le cubisme de Picasso et le mien – lui n’avait pas eu le sarimanok. »
Sym me regarde dans les yeux, plein d’espoir et résolu. « On est un groupe philippin qui sert maintenant la communauté philippine. Mon plus grand désir est que le Dimasalang devienne partie prenante de la plus vaste scène artistique canadienne… » Mais comment ce faire ? « Inclure tous les Canadiens – pas seulement ceux d’origine philippine, mais tous les Canadiens. » Un autre membre ajoute avec un sourire : « C’est un défi, mais on compte le surmonter. »
Alors que je suis sur le point de partir, Trouver le nom de Rod Pedralba accroche mon regard. Une jolie mannequin philippine s’y assoit devant une scène tirée d’une œuvre espagnole bien connue aux Philippines. À côté de la peinture, une œuvre en hommage à Emily Carr, peinte avec cette technique cubiste propre au groupe. La fusion des patrimoines a commencé et elle est belle.