Grandir à Vancouver implique devoir faire face à la complexité d’une ville hautement reconnue pour sa politique de multiculturalisme et de diversité culturelle. J’ai été témoin à travers les années de multiples manifestations de cette politique dans la vie quotidienne, variant des cas les plus tangibles aux plus problématiques.
Dans le meilleur des cas, le multiculturalisme peut favoriser un goût de la diversité et encourager le dialogue interculturel. J’ai eu le plaisir d’assister, dans toute la ville, à divers évènements qui ont réussi à célébrer cette aspiration. Parmi eux des exemples notables : l’Indian Summer Festival, le Richmond Night Market et le German Christmas Market. Ces évènements ont tous attiré des publics variés et éclectiques qui ont accueilli avec enthousiasme les représentations ethniques, les produits offerts en vente, les spectacles et la cuisine.
À l’inverse, dans le pire des cas, le multiculturalisme, ironie du sort, peut isoler les communautés ethniques, allant à l’encontre de l’engagement de la ville pour « la diversité et l’intégration »,
comme expliqué sur son site internet. Durant mes années au secondaire en particulier, j’ai eu le sentiment que la bannière du multiculturalisme écartait à la fois les immigrants et les élèves étrangers de la société dans son ensemble, au lieu d’accélérer leur intégration. J’ai remarqué que la nombreuse population d’élèves étrangers ne fréquentait que des personnes de leurs groupes ethniques, et que les échanges se faisaient dans leurs langues maternelles, entièrement cryptiques à mes oreilles. J’avais l’impression que certains enseignants ne les encourageaient pas suffisamment à s’intégrer à la société canadienne et à explorer sa culture, même à un niveau élémentaire. Au lieu de cela, ils accordaient des libertés aux élèves, telle que parler entre eux dans des langues étrangères pendant les cours. Mon école secondaire était par conséquent fortement compartimentée au niveau culturel, et ces limites sociales étaient rarement franchies.
Frustrée par le statu quo, j’ai commencé à entretenir de la rancœur à l’égard des élèves étrangers pour leur présumé manque d’adaptabilité, et je me suis demandé si d’autres personnes ressentaient la même chose. Mes opinions, qui avec le recul étaient assez sectaires, commencèrent à changer après une vive discussion en cours d’anglais. Je ne me souviens pas comment le sujet de notre habituelle discussion tangente a dévié du Portrait de Dorian Gray aux barrières culturelles dans notre communauté, mais seulement que cela a déclenché un changement crucial dans mon attitude à l’égard des divisions ethniques. Il s’est avéré que beaucoup de mes camarades partageaient mon point de vue selon lequel les élèves étrangers devraient faire plus d’efforts pour s’intégrer à la société. Cependant d’autres élèves, dont certains étaient immigrants, affirmèrent que nous étions au moins tout aussi responsables de l’existence de limites ethniques, puisque nous avions failli à inclure les nouveaux membres de la société de manière positive.
L’étendue de mon hypocrisie m’est rapidement apparue comme évidente : en dépit d’avoir critiqué ce groupe d’élèves pour leur manque d’intégration, je n’avais jamais tenté de combler le fossé social entre nous. Je m’étais également, sans le vouloir, enfermée dans une bulle so-
ciale qui se limitait majoritairement à des individus d’un milieu social presque identique au mien (Canadiens asiatiques élevés à Vancouver). Bien que j’avais toujours aspiré à avoir un cercle d’amis varié qui ressemblait à ceux des brochures de tourisme pour Vancouver, j’avais peur de fréquenter des individus qui m’étaient trop étrangers. Je me suis rendu compte que cette peur de l’inconnu était peut être bien plus grande pour les nouveaux arrivants dans notre société, et ma rancœur passée fut bientôt érodée par de l’empathie.
Alors même qu’il me semblait que les limites des zones de conforts créaient une ZDM sans failles, j’observais des exemples encourageants d’un multiculturalisme sain chez les enfants. En tant que professeur de piano bénévole à l’académie Saint James à l’époque, j’ai remarqué que de jeunes élèves de milieux socio-économiques et ethniques d’une grande diversité, se fréquentaient et jouaient ensemble avec enthousiasme (bien qu’avec turbulence). Si mon travail était d’enseigner aux élèves, j’ai cependant, à mon tour, reçu de leur part de nombreux enseignements précieux. L’intrépidité est une qualité que j’admire chez les enfants, pour qui les zones de confort n’ont pas encore été clairement définies. Une dose d’intrépidité pourrait en effet faire du bien à de nombreux adultes, en particulier aux timides comme moi-même, et les aiderait dans leurs tentatives de franchir les limites sociales et d’élargir leurs horizons.
A mes yeux, l’exemple du multiculturalisme de Vancouver a par alternance ressemblé à une mosaïque culturelle cohérente, ou alors fait échouer et s’éparpiller des éclats de verre sur une plage. Normaliser la mosaïque requiert un effort collectif dont chacun, peu importe le milieu dont il est issu, est responsable.
Traduction : Nicolas Remtoula