C’est une rentrée très spéciale qui attend le nouveau directeur général du Conseil scolaire francophone (CSF). Bertrand Dupain a succédé à Mario Cyr en janvier au cours d’un exercice particulièrement agité. Grève des enseignants, poursuite judiciaire contre la province, nouvelles règles sur les ayants-droit… La Source vous propose un entretien avec le nouveau capitaine du CSF.
La Source : Bertrand Dupain, cela fait longtemps que vous travaillez au sein du CSF en Colombie Britannique, mais à l’origine, vous êtes Français. Quel fut votre parcours ?
Bertrand Dupain : Je suis né il y a 55 ans non loin du Mont-Saint-Michel, dans le village de Villedieu-les-Poêles en Basse Normandie. J’ai passé mes diplômes en France, puis j’y ai enseigné pendant 12 ans avant de venir apprendre l’anglais à l’Université de la Colombie-Britannique. Je voyais cela à l’époque comme un développement professionnel. C’est là que j’ai rencontré ma femme, une Japonaise qui était l’une des meilleures élèves de ma promotion. Le Canada nous semblait alors être le pays le plus accueillant pour nous installer et y fonder une famille mixte. Nous avons finalement emménagé sur l’Île de Vancouver, où nous avons eu deux filles. Professionnellement, j’ai enseigné à l’école Victor-Brodeur de Victoria de 1995 jusqu’à cette année, et puis entre temps, j’ai gravi les échelons petit à petit pour arriver à ce poste.
L.S. : En janvier, vous êtes devenu Directeur général par intérim du CSF. Quel souvenir gardez-vous de vos premiers pas dans cette fonction ?
B.D. : Au début, j’ai eu du mal à réaliser. Si notre conseil scolaire est en pleine explosion avec plus de 5 000 élèves, c’est grâce au travail et à la passion de mes prédécesseurs que j’admire. On peut parfois avoir des points de vue divergents mais c’est vraiment un honneur de leur succéder. J’essaye maintenant de continuer le chemin qu’ils ont tracé avec mes propres convictions.
L.S. : Et ce ne fut pas forcément facile avec cette grève des enseignants qui marqua la fin de l’année scolaire 2013/2014. Une année qui s’est terminée en queue de poisson.
B.D. : Oui, cette fin d’année fut un peu… inachevée. On a annoncé la veille aux enfants qu’ils n’auraient plus cours avant les vacances. Ça laisse un petit goût amer mais ce n’est pas non plus un traumatisme. Au final, mes filles étaient contentes d’avoir 15 jours de vacances supplémentaires. Et puis je n’incrimine personne, c’est une situation qui sera réglée en son temps.
L.S. : Justement, ce mouvement hante toujours la rentrée aujourd’hui. A l’heure où nous parlons, aucune solution n’a encore été trouvée.
B.D. : Je n’ai honnêtement aucune idée de ce qui peut se passer mais nous devons quoi qu’il arrive être prêts à accueillir nos élèves. Et nous le serons ! Dans ce conflit, je ne sens pas de pression, d’agacement ou encore d’épée de Damoclès au-dessus de notre tête. J’attends juste patiemment et sereinement car je suis sûr que le bon sens triomphera.
L.S. : Vous êtes donc optimiste ?
B.D. : Je le suis toujours de nature, et puis tout le monde fait son travail, il faut faire confiance aux professionnels. Vous savez, en 1995, c’était dur de convaincre les gens que l’on pouvait éduquer en français ici en Colombie-Britannique. Je me souviens de mon école à Victoria, où tout était délabré. Il y avait des rats, c’était insalubre et on ne pouvait même pas boire l’eau car elle contenait du plomb. A cette époque, il fallait convaincre les parents de mettre leurs enfants à l’école francophone. Quand le Conseil scolaire a été créé, des gens se sont battus pour porter des projets et faire en sorte que nous accueillions de plus en plus d’élèves dans de bonnes conditions. Et c’est le cas, même si, malheureusement, il existe encore des écoles où les conditions d’apprentissage sont différentes.
Vous faites référence au procès qui se tient en ce moment pour obtenir la parité en matière d’éducation francophone. Un procès qui a débuté fin 2013…
B.D. : Le fait que le système prenne son temps, ça énerve les gens, mais c’est aussi un gage de justice en démocratie. Cela montre que l’on ne prend pas ce problème à la légère, que l’on fait des études précises. Vous savez, dans les dictatures, les procès ça ne dure pas très longtemps, mais ce sont des dictatures. Alors il faut être patient pour espérer voir un jugement juste.
L.S. : Lors du dernier exercice, le CSF a également vu partir son directeur des relations publiques, Pierre Claveau, qui prônait le principe d’école branchée sur la communauté. Ce principe est-il remis en question?
B.D. : On ne peut pas créer d’école sans communauté. Cela reste la base du système et toutes nos écoles entretiennent de bonnes relations avec la communauté francophone. On garde ces rapports et on les veut stables, forts et productifs. Il y a et il y aura toujours des Cassandre qui annonceront la fin du monde. Et c’est le cas depuis la guerre de Troie. Mais rien dans notre attitude n’annonce la fin de tels partenariats.
L.S. : Depuis l’an dernier, les règles d’admission ont évolué. Y’a-t-il eu plus de demandes d’inscription pour la rentrée et surtout cela peut-il affecter la qualité de l’enseignement ?
Tout d’abord, cela est très minime en pourcentage, et je suis flatté de voir cette évolution. Au début, il fallait se battre pour garder nos élèves, et aujourd’hui c’est le contraire. Ce sont des gens qui reconnaissent la qualité de notre programme. Et puis est-ce que c’était normal que la clause grand-père ne soit pas mise en place en Colombie-Britannique ? Vos grands-parents sont francophones et que vous parlez français à la maison mais vous ne pouvez pas aller à l’école francophone… C’était une injustice. Maintenant, il ne faut pas non plus tomber dans l’écueil inverse qui consisterait à accepter tout le monde. Mais il y a des comités qui étudient chaque demande de très près et rien ne porte à croire que cela amène une diminution de la qualité de l’enseignement. Au contraire, jamais notre programme n’a été aussi fort en français. Mes filles le suivent et je suis fier de la langue qu’elles parlent et qu’elles ont apprise.