Pour une rare occasion, des artistes urbains de Vancouver présentent leurs œuvres entre quatre murs, à la galerie Hot Art Wet City, jusqu’au 26 septembre.
Ils le regardent avec un air perplexe. Parfois, ils tiquent. Mais Fred « Joy » Joyal s’habitue aux passants et poursuit son travail sans s’inquiéter. Dans la ruelle tranquille, seules les poubelles l’accompagnent. Pourtant, au moment de quitter les lieux, les meneaux jaune et bleu de Despicable Me sourient de toutes leurs dents, et leurs yeux blancs et énormes font facilement rire les passants.
La scène de l’art urbain à Vancouver
L’appartement de Fred Joyal est rempli d’œuvres ramassées aux quatre coins de la ville. Sillonnant quotidiennement les rues de Vancouver pour donner vie aux murs, il se joint en effet ce mois-ci à d’autres artistes du pochoir et du collage dans le cadre d’une exposition baptisée Streets. La galerie Hot Art Wet City a eu la bonne idée de mettre en lumière cet art urbain, dont on est plus habitué à ce qu’il essuie la poussière et la pluie.
En entrant dans son salon, je suis accueillie par un requin arborant sa mâchoire en sautant d’une bouche d’égout et par un signe d’arrêt dont la bande blanche a été remplacée par un bandeau de karaté. Je me risque à demander à Fred : « Pourquoi Vancouver ? » Natif de la rive-sud de Québec, il a déménagé ici après ses études à Trois-Rivières. « Pourquoi Vancouver !? », répète-t-il en riant, avant de répondre : « J’aime pas le froid… mais la scène de l’art urbain ici est tellement petite. Ça se limite presque aux cinq artistes qui exposent à Hot Art Wet City. »
En comparaison avec d’autres grandes villes comme Montréal, Vancouver est quasi vierge en matière d’art urbain (bien qu’il soit difficile d’évaluer le nombre exact d’artistes qui s’y exercent, car le fait de s’annoncer comme tel peut avoir des répercussions légales). Il est vrai que le blogue StreetartMtl propose d’innombrables photos d’œuvres et de murales énormes qui avalent les couloirs et les ruelles bordées par des collages aux couleurs vives. À Montréal, remarque Fred, un artiste urbain peut gagner sa vie en vendant des t-shirts, mais à Vancouver, il semble beaucoup plus facile de se faire remarquer.
De la nature de l’art urbain
Du coin de l’appartement, Charlie Brown m’accroche l’œil. Sa barbe de trois jours couvre son visage. Des mèches de cheveux sortent de sa tête dans un drôle de désordre et son t-shirt est taché de brun par la poussière. Charlie est assis sur un tas d’ordures, derrière une pancarte qui dit : « EXCUSE ME. I’M NOT DIRTY. I’M HOMELESS. NOT A POLITICIAN. »
Fred me raconte l’histoire de l’œuvre. « Les personnes qui sont sur Hastings… beaucoup sont des francophones, des Québécois. Tu peux entendre des gros accents québécois. » Il fait une pause et me regarde avant de continuer. « C’était une image très très très forte pour moi. » Je jette un œil à la peinture. Sa perte d’innocence, mêlée à mes souvenirs d’enfance, me fait froncer. Ce Charlie Brown, peut-il être la voix des ceux qui en manquent ?
Le texte inscrit sur la pancarte me laisse songeuse : pense-t-il que le message politique, souvent militant, de son art et de l’art urbain repousse les gens ? Fred incline la tête et répond : « Y’a de l’art fait pour plein de choses, pour décorer, pour la thérapie… et y’a certains arts qui sont faits pour passer un message. Peut-être que ça choque du monde. Mais je pense qu’il faut aussi que mon message sorte. »
Y a-t-il un mot qui qualifierait bien cet art urbain ? Je serais tentée par « divers ». En apparence, aucun lien ne semble unir les cinq artistes qui participent à l’exposition Streets. Les œuvres de Joy sont bien différentes des « troopers » érotiques de « La guerre des étoiles » de l’artiste Wrk(less), « bombés » sur du vinyle. Les œuvres de wrkless n’ont rien de commun avec l’art de iHeart. Et comment décrire les poupées macabres de Jenn « Slingshot » Brisson ? Le vrai lien réside peut-être dans cette vo-
lonté commune de mettre leurs œuvres « à la rue », à portée de nous, pour ajouter à la complexité de la ville. Et peut-être serions-nous inspirés de les regarder de plus près.
Streets à la galerie Hot Art Wet City du 4 au 26 septembre