Accorder ses violons à l’air du temps : voilà ce qui semble animer Ali Hatef. Dans le cadre d’une tournée nord-américaine, le cinéaste et vocaliste d’origine iranienne fera étape à Vancouver au début de l’automne. La soirée, initialement agendée le 12 septembre puis reportée in extremis (nouvelle date à confirmer), proposera une prestation musicale et la projection de son film The Traveler. En suivant ses pas, La Source revient sur la longue histoire de la musique perse.
Ali Hatef jongle avec deux casquettes. Artiste et réalisateur, il excelle dans les deux rôles. Tragédie romantique en apparence, le scénario de The Traveler est une caricature du parcours difficile des nouveaux arrivants, et plus particulièrement des femmes. Le personnage de Maryam, l’héroïne du film, qui un matin pose ses valises à Los Angeles alors qu’elle ne sait pas un mot d’anglais et n’a aucune adresse vers où se diriger, résonne comme un écho à la propre histoire d’Ali Hatef. La trame du film est jalonnée de suspense. Sous-titré en anglais, The Traveler a voyagé au festival Portobello, à Londres, et dans plusieurs grandes villes d’Amérique, avant d’arriver ici.
Sans ambages, Ali Hatef explique : « J’ai débuté ma carrière à 16 ans. Quand la musique populaire a été bannie par le régime islamiste, j’ai bouclé ma valise et pris l’avion pour la Californie. J’avais 23 ans et j’ai sorti mon premier album en 1983. Le quatrième album a connu beaucoup de succès, tant en Amérique qu’en Europe. Le moment était venu d’innover et de produire mon premier film. »
Retour sur les enjeux d’un pays dysfonctionnel
Fin des années 1970 ! Le peuple perse rêve de liberté et de démocratie. Las de l’autocratie, il aspire à s’en défaire. Une révolution culturelle est enclenchée, qui assiège le paysage musical. Toutefois, elle sera truquée et les dés seront pipés. Le pays bascule dans un régime totalitaire et islamiste. Il est également en pleine guerre avec son voisin, l’Irak. Avec l’exode du shah, la musique pop, considérée comme impure, est interdite. Elle rend l’âme, ternissant les efforts fournis par la princesse Soraya, l’épouse du shah, pour la mettre à l’avant-scène, tant à Shiraz qu’à Persepolis.
La musique traditionnelle a le monopole, avec l’interdiction formelle aux femmes de monter sur les planches. Leurs champs d’action se limitent à des assemblées. D’éminentes voix féminines se sont ainsi tues au pays, à l’instar de Parissa et de Simin Ghanem. Elles connaissent toutefois la gloire sur la scène internationale. Simin Ghanem impose le pouvoir de la femme dans l’arène des hommes. Fragile mais puissante, elle incarne une âme fraîche, une fusion de l’homme et de la femme sur scène, dans une seule voix. Simin Ghanem et Parissa, qui ont choisi de rester au pays, doivent faire attention à ne pas franchir la ligne rouge lorsqu’elles se produisent hors du territoire iranien. Leurs pairs masculins, Googoosh et Dariousch, qui ont élu domicile en Californie, peuvent quant à eux exercer leur art en toute liberté et exprimer leurs idées politiques.
Le revers de la médaille
Alors que le régime soutient la musique traditionnelle à tour de bras, un adversaire coriace se pointe à l’horizon: l’internet, qui décloisonne la musique pop iranienne. Celle-ci reprend son envol ! Unique, puisque mêlant l’héritage perse et les influences occidentales, elle revendique sa légitimité. La musique classique, seule autorisée sur le territoire perse, est mise sur le carreau.
Si les artistes locaux peuvent remonter sur scène, les légendes de la pop qui ont émigré hors de l’Iran sont toujours empêchées de partager leur musique au pays. « Nous sommes taxés de traîtres », affirme Ali Hatef. La déchirure se fait sentir. «On nous considère comme des parias de la société. La blessure infligée par la patrie est pansée par l’élan d’appréciation du pays d’accueil. C’est comme un souffle de fraîcheur qui honore la liberté d’expression. L’art n’a pas de connotation, de restrictions ou de visées politiques. Toutefois, il est difficile de le promouvoir dans un pays hôte, car le marché est étriqué », explique-t-il.
Alors que la diaspora préfère la musique pop, en Iran, la musique traditionnelle commence à perdre ses lauriers. La jeune génération est portée vers la musique occidentale. L’innovation est de rigueur pour garder la jeunesse dans le giron « traditionnel ».
Ramin Bahrami, membre de l’ensemble Kereshmeh, qui œuvre au sein de la NAVA, établissement visant à promouvoir la culture perse à Vancouver, confie : « La musique perse est riche en variétés et techniques. C’est tout un arrangement de savoir-faire et d’instruments. Le tomba, le tar, le setar, le barbat et le ney ne sont que quelques composantes de la musique traditionnelle. » Le luth et le banjo, originaires de l’Iran, ont tout deux une histoire de deux mille ans.
Rahmin Bahrami et Ali Hatef sont unanimes : « La musique perse est une musique qui a voyagé à travers les continents. » Le passage d’Ali Hatef à Vancouver est une belle occasion de faire une escale perse et de découvrir ou de redécouvrir la richesse culturelle de son pays d’origine. « Malgré les interdictions, nous œuvrons afin que l’art puisse survivre au-delà des barrières », conclut Ali Hatef.
Nous vous communiquerons la nouvelle date de tournée d’Ali Hatef à Vancouver sur notre site web et nos réseaux sociaux dès qu’elle sera confirmée. Suivez La Source !