Plus qu’une habitude, c’est une religion : avant de poser le pied sur une nouvelle terre, j’étudie les musées, les grands monuments et les belles architectures. Il s’agit d’une démarche purement intellectuelle. Je conçois les œuvres réfléchies par un autre appartenant à un autre temps ou peut-être les œuvres de cet autre avec qui je partage un certain temps en commun comme un élément essentiel me faisant entrer dans le temps de ma propre existence. Je trouve les traces de souffrance et de jouissance, voire d’indifférence, visibles dans ces œuvres à la fois fascinantes et effrayantes.
Fascinantes car elles portent sur les propositions culturelles d’un endroit, plus précisément, sur ce qui a été inscrit avant notre temps de l’existence personnel par des hommes et des femmes d’un autre temps. Effrayantes car elles me rappellent les limites temporelles de mon existence.
Néanmoins, ne s’agit-il pas d’un tâtonnement, d’un questionnement existentiel de cet être errant, en l’occurrence moi-même, présent dans un nouvel espace et borné par un temps passager ? Qu’ont-ils fait ces autres qui nous ont précédés, avec leur temps sur les terres de ce même pays ?
Et Vancouver dans tout ça ? Elle n’est certes pas une exception. J’y fouine afin de découvrir quelque chose qui nous rende contemporain aux hommes et aux femmes qui furent ici avant nous. Or, ce qu‘ils ont laissé derrière eux devrait permettre cela. Hélas, l’histoire de ce pays est brève. Nous y sommes en manque d’histoire. Vancouver nous réfère à nos terres d’origine et ouvre ses bras afin d’accueillir notre passé, tous ces arts et cultures que nous avons précédemment vécus avec nos yeux et sentis avec nos âmes.
D’une manière presque étrange, cette ville nous avoue aisément que le début de son histoire est en cours, que le point de départ est seulement ce court moment où l’on tourne la tète en arrière et où l’on regarde les deux derniers pas.
Vancouver nous fait comprendre que notre distance temporelle avec son commencement est brève. La brièveté du passé vancouvérois change notre rapport avec la ville. Nous n’y sommes point pour observer, conserver, continuer ou modifier l’histoire. Nous y sommes pour faire de l’histoire, pour faire de notre histoire personnelle la future histoire supposée d’une ville, d’une terre gâtée par son extrême beauté natu-
relle et presque sauvage.
Nous y sommes comme tous les autres venant d’ailleurs, avec notre propre culture et histoire. À chacun sa vision, à chacun son mode de vie, à chacun sa particularité et à nous tous de bâtir un nouvel horizon, une nouvelle totalité culturelle.
Le roman culturel de Vancouver semble certes être comme un brouillon enrichi de nos altérités. Cependant, il est dépourvu d’unité. Ce roman est le récit personnel de chacun de nous et l’histoire de cette ville est l’histoire d’un lointain. On dirait que le passé de Vancouver ne s’est jamais passé ici. L’histoire culturelle de Vancouver n’est rien d’autre que les diverses pa-
ges tournées ailleurs.
Alors, est-ce la raison pour laquelle on nous parle de Vancouver comme d’une ville multiculturelle? Un multiculturalisme portant à la fois sur la rupture de continuité spatiale de l’histoire d’un monde vécu et en même temps lançant un appel solennel : venez et faites l’histoire d’ici.
Certes, le multiculturalisme vancouverois dévoile sa face séduisante. Il est en progression vers un inconnu fabuleux qui promet. Il est fier d’être ainsi et ne cesse de chercher un sens et une direction.
Pourtant, ce multiculturalisme est loin d’être formé par la diversité culturelle. Il présente, à vrai dire, une certaine diversité communautaire. Ici, les communautés sont une sorte de coque pour les différentes cultures qu’elles représentent.
Finalement, c’est un assemblage aléatoire des différentes communautés ethniques et culturelles sur la même terre, et il lui manque un fil conducteur, un fil capable de lier toutes ces options culturelles et ethniques les unes aux autres afin d’atteindre l’unité. Bref, Vancouver apprit à se composer librement de nos passés qui rappellent sans cesse un ailleurs. Quant à nous, nous apprîmes à cohabiter avec l’offre du présent, à trouver le chemin du futur et à ainsi laisser un héritage riche de sens pour les générations à venir.