Fort d’une carrière qui s’étend déjà sur plus de cinq décennies, le bluesman Chris Smither reprend la route. Et il le fait avec de belles munitions : rétrospective quasi complète de son œuvre « revisitée », publication de ses écrits et nouvel album. En attendant son passage à Vancouver, le 7 octobre, La Source revient sur la trajectoire musicale et personnelle de cet original… hors du commun.
Tout commence (comme souvent) dès l’enfance. Né à Miami en 1944, durant la Seconde Guerre, Chris Smither est issu d’une famille de la classe moyenne a priori fort ordinaire. Son père est un académicien érudit et un grand voyageur… mais il a une casquette secrète ! Il est en effet agent pour le compte du FBI, d’où ses déplacements constants, d’abord en Amérique, puis au Mexique, en Équateur, au San Salvador, au Portugal et en France. Ces voyages marquent profondément Chris Smither et éveillent en lui une vive curiosité à l’égard des cultures et des civilisations. Il manie d’ailleurs la langue de Molière avec une aisance surprenante !
Jeune adulte, il veut être anthropologue. Mais une découverte bouleverse son projet : celle du blues ! Après la guerre, la famille s’installe en effet à La Nouvelle-Orléans, dotée d’un riche héritage musical et culturel. « Ce qui m’attira vers le blues, au début, c’était son lien direct avec le rock, ce qui est plutôt normal puisque j’ai grandi dans les années 50. C’était un son à la fois nouveau et rebelle, avec en trame de fond tous les remous sociaux et politiques qui allaient secouer l’Amérique », dit-il. « C’était aussi la chance pour moi de jouer en solo, car j’ai toujours eu un peu une âme de solitaire ».
Le blues des origines à aujourd’hui
Les origines du blues sont plutôt obscures. On s’accorde sur une chose, toutefois : son berceau se trouve au Sud, dans le Mississipi, et il est indissociable des chants d’esclaves. On retrouve dans ces chants des thèmes tels que la nostalgie de la terre natale, la perte des racines, les misérables conditions de vie sur les champs de plantations, d’où leur surnom original de « chansons de travail » et la dénomination Negro Spirituals. Ajoutons à cela les traditions musicales de l’Afrique centrale et l’utilisation de la Kora, instrument à cordes, le métissage avec les traditions amérindiennes, les influences religieuses et évangélistes des méthodistes, et même le théâtre ambulant de type vaudeville. Associées au folk, ces traditions se transforment en une sorte de transmission orale, une expression musicale authentique rassemblant ce que nous avons tous en commun. Mais le blues serait-il une musique essentiellement noire… une sorte d’appropriation ?
« Pas du tout », affirme Chris Smither. « Pour quelqu’un qui vient du Sud, Noir ou Blanc, le blues est quasiment inscrit dans les gènes. C’est peut-être même l’âme de ce pays. » Sur le plan technique, « tout est question de tempo, d’intonations nasales et de beat, d’où naît l’expression poétique et l’émotion, qui peut être à la fois heureuse et triste… sans oublier une belle dose d’humour. C’est une musique de joie qui m’émeut profondément. »
Son processus de création, Chris Smither le dit inspiré de sa vie, de ses lectures et de ses voyages : « Il est à la fois instinctif, primal et apparemment incohérent… et puis à la fin, l’œuvre finit par trouver son expression et son sens. »
Boucler la boucle
Si à ses débuts, au début des années 60, il se contente surtout d’interpréter des œuvres d’artiste connus, inspiré par la musique de Bob Dylan (on pense à Desolation Row ou à Visions of Johanna), la recherche d’une expression plus personnelle a toujours été son graal. Peu à peu, son travail est reconnu par les « grands » du blues/folk contemporain tels que Bonnie Raitt, avec sa célèbre interprétation de Love You Like a Man, ou plus récemment Diana Krall. Mais sa carrière, dont on fête cette année le cinquantenaire, est aussi troublée par des démons personnels et des déceptions professionnelles, d’où son silence des dernières années. Aujourd’hui, de retour plus fort et confiant que jamais, il nous revient avec un double album intitulé Still on the Levee, hommage à 50 ans de compositions enregistré à La Nouvelle-Orléans par 15 musiciens et des invités de marque tels que Allen Toussaint, qui comprend également de nouvelles pièces réunies sous le titre Link Of Chain, raison d’être de sa tournée mondiale.
« Pour moi, c’est une sorte de renaissance qui me permet de mesurer le chemin parcouru. J’ai gagné de la confiance en moi, ce qui me permet de produire un art plus poli et plus convaincant, somme des expériences et des leçons que m’ont apportées la vie », dit-il. Interrogé sur la place qu’occupe aujourd’hui le blues/folk dans la jeune culture contemporaine, si associée à une sonorité électronique et digitale, Chris Smither répond : « Je crois que ma musique n’a peut-être jamais été aussi populaire qu’aujourd’hui… C’est un peu comme si mon auditoire me voyait en refuge. » Avant de conclure, non sans sagesse, et comme on le dit chez lui, dans le Sud : « in the end it’s all water over the dam » (« à la fin ce n’est que de l’eau par-dessus le barrage »).
Chris Smither en concert à Vancouver
Présenté par l’Université Capilano et Global Roots
Le mardi 7 octobre à 18h au Electric Howl