Je marche sous la pluie, le long du canal. À ma droite, une haie très dense derrière laquelle on entend parfois le bêlement d’un mouton. À ma gauche, le canal sur lequel naviguent quelques canards et plus rarement quelques bateaux de plaisance. Cela fait longtemps qu’on me vante les mérites des longues randonnées à pied dans la campagne anglaise. N’étant pas très sportif de nature, j’ai décidé de commencer par le plus facile, soit, marcher sur un chemin de halage. J’ai choisi le Kennet & Avon canal, qui, à l’ouest de Londres, relie Reading à Bristol. Pas question de parcourir les 120 kilomètres qui séparent les deux villes. Quand on en a assez de marcher on peut utiliser les transports publics, train ou bus, pour se rendre à une autre section du canal. Ma randonnée débute à Newbury d’où j’entreprends de marcher jusqu’au village de Kintbury… 10 kilomètres.
Je ne croiserais personne sur mon chemin, et pour cause : qui serait assez bête pour aller se promener sous une pluie battante ? Au bout de quelques kilomètres, je commence à me dire que ce « sport » n’est peut être pas pour moi. Pourtant les Britanniques en raffolent. Il existe une association, The Ramblers, qui a 120 mille membres. Cette association, qui fait du lobbying pour que l’on améliore les sentiers de randonnée et pour que l’on maintienne les droits de passage historiques à travers des propriétés privées, existe depuis 1931. La lutte a été dure et longue. En 1931, la fédération sportive des travailleurs, liée au parti communiste, organise des invasions pacifiques de domaines appartenant à des membres de la noblesse qui ne voulaient pas voir les prolos en vacances traverser leurs terrains de chasse. Mais, petit à petit, les randonneurs ont gagné et imposé le respect des droits de passage établis depuis des siècles. Les agriculteurs dont les propriétés sont traversées par un sentier de marche doivent installer des passages à travers les clôtures. Cela n’a pas toujours été fait de bon cœur et certains fermiers ont employé différents moyens légaux pour décourager le passage des citadins en mal de campagne. Une méthode efficace consistait à laisser un taureau agressif paître dans les prés traversés par les sentiers de randonnées. Finalement, en 2000, une nouvelle loi sur le droit d’accès a marqué une grande victoire pour les amateurs de randonnées bucoliques. Maintenant, la Grande-Bretagne est sillonnée de milliers de kilomètres de sentiers. Certains longent les canaux et les rivières. D’autres longent les côtes. Pour les plus sportifs, il y a des parcs nationaux dans les régions presque montagneuses du nord de l’Angleterre, du pays de Galles ou d’Écosse. Pour les moins ambitieux, comme moi, il existe même des cartes indiquant la distance entre les pubs.
Après plus de 3 heures de marche sous la pluie, je me suis dit que cette activité absurde n’était pas pour moi. Mais en fin d’après midi, installé dans une belle auberge de campagne, en sirotant une bonne bière artisanale près du feu de bois dans la cheminée, je me suis dit que finalement, ce n’était pas si mal. Le lendemain, sous un beau soleil d’automne, j’ai poursuivi mon chemin jusqu’au prochain village. Il est à noter que les sentiers qui longent les canaux sont également utilisés par les cyclistes. Contrairement au Canada, ce mélange de piétons et de cyclistes ne semble pas poser de problèmes aux Anglais.
Je me vois bien faire d’autres randonnées à pied en Angleterre et ailleurs en Europe, mais je doute fort qu’il me vienne l’envie de m’adonner à cette activité au Canada. En Europe, je peux choisir des chemins parsemés de villages, de pubs ou bistrots, de villages, de vieilles églises et de jolis châteaux. Au Canada, on risque plus de rencontrer des ours, des terrains difficiles et de finir la journée sous une toile de tente. Je laisse ça aux vrais sportifs.