Une image vaut mille mots », dit le proverbe, et 14-18 : une minute de silence à nos arrière-grands-pères courageux, de Thierry Dedieu, en est l’exemple parfait. L’auteur rend hommage aux Poilus de la Première Guerre mondiale dans cet album muet d’une rare force, aux images saisissantes d’un réalisme inouï qui racontent les atrocités de la guerre, la solitude et les angoisses, là où les mots ne le peuvent plus. Un chef-d’oeuvre, à partager avec le plus grand nombre à partir de 12 ans.
« Hélas, ma chère Adèle, il n’y a plus de mots pour décrire ce que je vis. » Gustave. Ainsi s’ouvre l’album 14-18: une minute de silence à nos arrière-grands-pères courageux, dont le titre annonce la démarche de l’auteur. Car cette phrase n’est suivie d’aucune autre et laisse bien vite la place à des illustrations muettes, réalisées au pastel dans des tons sépia, qui plongent le lecteur dans l’enfer des tranchées et sont d’une telle puissance évocatrice qu’elles se suffisent à elles-mêmes. De toute façon, existe-il des mots assez forts pour décrire l’horreur de la guerre ?
L’album en lui-même ne raconte pas le conflit : il suggère, à travers des coups de projecteur sur la réalité du terrain, qui prennent tout leur sens si l’on a quelques notions de l’histoire du conflit. C’est pourquoi c’est un livre qui doit se partager, propice au dialogue avec les jeunes. On y découvre alors, de façon très crue, les tranchées, les explosions et tirs d’obus, le froid et la vermine, la solitude et les angoisses, sans oublier les morts et les blessés.
Tout commence par la nature, sous la forme d’un lapin aux aguets, qui finit par détaler, dérangé par un char. Puis ce sont des portraits d’hommes, blancs ou noirs des troupes coloniales, qui posent en série, et que l’on retrouve quelques pages plus loin, au milieu des tranchées dans la neige ou tombant sous les balles, transformés en « Poilus ». La double-page au milieu du livre, qui représente un pou en gros plan et qui nous saute littéralement aux yeux, suffit à faire comprendre l’état de saleté qui se cache derrière leur apparence simiesque et l’insalubrité des conditions sur place.
Les combattants sont la plupart du temps représentés de dos, ou le visage caché derrière des masques à gaz qui les font ressembler à des fantômes, pour incarner la déshumanisation de la guerre. Enfin, culmination de l’horreur, ces portraits de gueules cassées ou ces soldats au visage-crâne, à la limite du soutenable, et qui laissent sans voix.
Le ton sépia rend parfaitement cette ambiance lourde, oppressante et de terreur constante de la guerre d’usure. Il rappelle la couleur de la terre qui ensevelit et étouffe, qui colle à la peau et se transforme en boue. Du coup, le silence des illustrations en devient assourdissant. A la seule force de son crayon, Dedieu nous donne à entendre le vacarme des assauts, puis le calme et la solitude des combattants après la bataille, dans un paysage de désolation, mis en relief par les tableaux, a priori anodins mais pourtant lourds de sous-entendus, de ce corbeau charognard planant au-dessus du champ de bataille, et de ce cheval perdu au milieu de barbelés et qui se demande bien ce qui est en train de se passer. Une façon symbolique de montrer le caractère absurde et contre-nature de la guerre.
En fin d’ouvrage, se trouve une enveloppe sur la page de garde, contenant une lettre bouleversante et très intime d’Adèle, la femme du Gustave du début, qui exprime ses craintes et son espoir de le voir revenir un jour.
« Mais eux sont rentrés vivants ! Ici, même si la vie est dure sans tes bras à la ferme, sans ton corps dans mon lit, je ne dois pas me plaindre. (…) La patrie a besoin de héros, soit ! moi je n’ai besoin que de toi ! RENTRE VIVANT ! ». Ton Adèle.
Un hommage vibrant, en somme, aux combattants de la Grande Guerre et à leurs familles, qui porte d’autant plus que notre Gustave aurait tout aussi bien pu être un Allemand… A découvrir absolument en cette année du centenaire.