Je suis née en Afrique, le continent qui a donné naissance à la race humaine. Comme mon père, je suis née au Kenya. En 1920, mon grand-père immigrait au Kenya du Punjab en Inde. En 1967, ma famille se déplaçait en Grande-Bretagne, pays qui a donné naissance à la théorie de l’évolution. La vie à Londres était plaisante mais mon père se sentait attiré par les terres du Canada. Et, en 1972, alors que le multiculturalisme devenait une politique officielle au Canada, nous avons immigré dans une ferme à Abbotsford.
En ces premières années de multiculturalisme canadien il n’y avait pas de protocole de bienvenue pour les immigrants de couleur. Le Premier ministre Pierre Elliott Trudeau était un visionnaire pragmatique qui s’était rendu compte que le Canada avait besoin d’ouvrir ses portes aux immigrants non-blancs car les Européens ne venaient plus. Le Canada a besoin de ces immigrants car notre taux de natalité se situe au-dessous du niveau de remplacement depuis plusieurs décennies. M. Trudeau a perdu les deux élections suivantes car la majorité des Canadiens de descendance européenne n’aimaient pas ce multiculturalisme, trouvant que cette politique était un exercice social voué à l’échec. A l’époque les sociologues canadiens décrivaient la majorité des Canadiens de souche européenne comme étant largement hostiles envers les immigrants non-blancs. Les érudits de l’histoire de l’immigration canadienne tels que Hugh Johnston et Ali Kazimi soulignent que le Canada possédait une politique qui n’admettait que les Blancs entre 1867 et 1967. Les Canadiens de race blanche considéraient les immigrants de couleur comme « Les Autres » et leur en voulait. Les gens de couleur ne pouvaient se sentir chez eux au Canada dans de telles conditions.
Au fil des années j’ai été témoin de la maturation à contre-coeur du multiculturalisme canadien passant du stade de la simple tolérance à une acceptation plus totale. A bien y penser, la majorité des gens vivent leur première expérience d’une nouvelle culture assis à table dans un restaurant ethnique. Le poulet au beurre et les samosas auront donc aidé les Indo-Canadiens à gagner une acceptation sociale. Les restaurants ethniques ont servi de superbes ambassadeurs culturels. Les Euro-Canadiens ont aussi dû se dire qu’un peuple qui pouvait danser le bhangra avec une telle passion devait être correct. La fusion de styles musicaux inspire les Canadiens à regarder au-delà de la race vers notre humanité commune. Le yoga et le bouddhisme ont aussi pris de l’élan au Canada et ont encouragé l’harmonie interculturelle. Il est désormais cool d’être Indien. De nos jours on porte des vêtements inspirés de la mode indienne. La galerie d’art de Surrey en a inspiré beaucoup d’autres avec ses expositions multiculturelles.. Les célébrations telles que le Indian Summer Festival, le Vancouver International Film Festival et Diwali ont tous promu la socialisation interculturelle. Au fur et à mesure que les Canadiens de descendance européenne sont parvenus à nous connaître par le biais de notre musique, notre mode, notre art et notre philosophie, nous, « Les Autres », sommes devenus plus humains à leurs yeux.
J’ai assisté à plusieurs des évènements commémoratifs marquant le centenaire de l’épisode du Komagata Maru au sein de l’histoire canadienne. Je sens qu’il s’agit encore d’une histoire du sub-continent indien car cela n’a pas encore pénétré l’âme nationale. Une raison possible serait le racisme encore courant causé par le manque d’éducation dans toutes les communautés culturelles, chose requise pour promouvoir le multiculturalisme. Donc le voyage symbolique du Komagata Maru doit continuer car il reste du chemin à parcourir pour que les minorités visibles du Canada prennent leur propre place.
La terre a toujours été multiculturelle et nous avons toujours été une seule race humaine. Tout en célébrant nos différences, le multiculturalisme au Canada doit aussi se concentrer sur nos similarités et mettre l’accent sur les droits humains. Le succès de ce multiculturalisme relancé sera l’évolution de la « personne interculturelle ». Le coeur et l’intellect seront aussi bien développés l’un que l’autre et cette personne pourra se déplacer avec facilité entre différentes cultures et se sentir à l’aise n’importe où dans notre mosaïque culturelle.