Il fut un temps où les voyages en train en Europe étaient très simples. Chaque pays avait une compagnie de chemin de fer nationalisée dont le rôle était avant tout d’offrir un service public. Le prix des billets était établi sur la base d’un taux fixe par kilomètre auquel s’ajoutait un certain nombre de variations : première ou deuxième classe, carte de réduction pour les personnes âgées etc. Mais avec la venue des privatisations et du marketing moderne, tout est devenu beaucoup plus compliqué.
La Grande-Bretagne était à l’avant-garde de ces privatisations, mais le reste de l’Union européenne s’est engagée à suivre cet exemple et à casser les monopoles d’état dans le domaine des chemins de fer, comme dans d’autres domaines d’ailleurs. C’est déjà fait pour le transport ferroviaire des marchandises et le Parlement européen a voté l’ouverture du secteur passager pour 2019. Les sondages montrent que la privatisation des services publics n’est pas populaire et les gouvernements qui craignent de s’y lancer trop ouvertement cherchent néanmoins à l’imposer petit à petit par des moyens détournés. En France (comme dans d’autres pays européens) on a d’abord morcelé la Société nationale des chemins de fer en plusieurs sociétés d’état. Une possède les rails et l’autre s’occupe des trains qui roulent dessus moyennant le paiement d’un droit de passage. Puis on a créé des sociétés publiques régionales pour gérer les transports ferroviaires locaux. En Allemagne, on a déclaré que les chemins de fer fédéraux étaient désormais une société privée bien que 100% des actions étaient détenues par l’État. On pourra toujours, dans l’avenir, vendre ces actions graduellement au secteur privé. En France, les syndicats de cheminots qui déclenchent souvent des grèves ne font qu’apporter de l’eau au moulin de ceux qui disent que « ça ira mieux quand ce sera privatisé ».
Pourtant, en Grande-Bretagne où les chemins de fer ont été privatisés il y a plus de vingt ans, les usagers sont loin d’être ravis. Un sondage de janvier 2014 indiquait que plus de la moitié des personnes interrogées préféreraient que le réseau soit nationalisé à nouveau. Vu la prédominance de l’idéologie ultralibérale à travers l’Europe, ce n’est pas près de se produire même s’il est prouvé que les contribuables n’ont rien épargné. En effet, les subventions publiques ont augmenté alors même que les trains génèrent des profits pour les compagnies privées qui les possèdent.
Le touriste canadien qui débarque en Europe se fiche peut être de savoir qui possède les trains. Il notera simplement que les chemins de fer pour les passagers fonctionnent mille fois mieux qu’en Amérique du Nord et que pour aller du centre- ville de Londres au coeur de Paris, le train est plus rapide et plus confortable que l’avion… Et souvent plus cher. Mais pas toujours ! Il faut dire que c’est devenu horriblement compliqué. Même dans les pays où les trains n’ont pas encore été privatisés, l’esprit du marketing a remplacé celui du service public. Au nom du remplissage optimal, les voyageurs sur un même train payent rarement le même prix. Ça coûte moins cher si vous achetez vos billets longtemps à l’avance, ou si vous avez une des nombreuses cartes de réduction qui coûtent un certain montant par an, mais ça dépend aussi des heures de départ, des dates aussi sans compter la différence de prix entres les omnibus régionaux et les express nationaux. Parfois, ça dépend du nombre de personnes voyageant ensemble. Et puis il y a les prix que l’on ne peut obtenir que sur le web alors que d’autres billets ne peuvent être obtenus qu’au guichet de la gare. Une carte de réduction qui vous permet de voyager 50% moins cher dans un pays ne vous offre que 25% de réduction dans un autre ou rien du tout, selon les accords en vigueur entre les différents pays de l’Union. Pour compliquer encore les choses, la SNCF ( Société nationale des chemins de fer français) a créé une filiale à bas prix (ce que les Français appellent une compagnie low cost) Ouigo. Avec une plus grande ouverture à la concurrence prévue pour les années à venir, ce sera sans doute beaucoup plus compliqué. D’ici là, seul les « anciens » se souviendront encore de l’époque d’avant la « magie du marché » quand tout était beaucoup plus simple.