Après plus de trois ans de tournée dans le monde entier, l’interprète belge Lisbeth Gruwez arrive à Vancouver en cette nouvelle année pour présenter une œuvre singulière d’une rare intensité It’s going to get worse and worse, my friend au Scotiabank Dance Theatre à l’occasion du PuSh Festival. Dans son spectacle, la chorégraphe prend la place des grands orateurs et dévoile, à travers la danse, la puissance de ces discours qui galvanisent les foules.
Sur scène, Lisbeth Gruwez est seule à l’intérieur d’un rectangle de lumière, unique objet d’attention de spectateurs attendant son prêche. En fond sonore, on entend la voix grave d’un homme débutant un discours mais les mots y sont séquencés, coupés et allongés. Les gestes de la chorégraphe s’enchaînent alors. A chaque mot, un mouvement précis, une gestuelle répétée qui donne une signification corporelle à ce que le spectateur entend. Imitant ainsi l’orateur devant son public, elle captive son auditoire par sa présence en utilisant son corps plutôt que les mots. Car là est toute l’essence de ce spectacle : illustrer le lien entre le langage verbal et le langage corporel jusqu’à ce que la gestuelle domine les paroles.
« L’exaltation du corps m’a toujours intéressée et chacun de mes anciens spectacles a été une étape qui m’a conduite vers une autre idée, explique Lisbeth Gruwez. J’ai eu l’occasion de regarder une vidéo sur internet d’une interview du réalisateur américain John Cassavetes dans laquelle il dénonce la médiocrité des programmes à la télévision et l’incompréhension du public face à de bons films (…) La façon dont laquelle son corps bougeait et la puissance de cette forme d’expression non verbale ont déclenché chez moi l’envie de travailler sur l’art du discours et sur cette gestuelle exaltée ».
L’exaltation religieuseau service de la danse
Pour illustrer cette idée, la chorégraphe s’appuie sur les sermons du télévangéliste américain
Jimmy Swaggart et sur son discours What the Bible Says About Drugs, mixé et monté par son collègue Maarten Van Cauwerghe. Cette trame sonore, inaudible et déconstruite, laisse transparaître la passion de son auteur, permettant à la danseuse d’illustrer la scène avec force. « Jimmy Swaggart a la voix parfaite, affirme Lisbeth Gruwez. Sa rhétorique se construisant presque exclusivement sur des discours exaltés, il est parfait. » Cependant, afin de présenter un spectacle avec un message universel, les deux amis ont coupé toutes les références à la religion afin de conserver uniquement « un message prophétique, universel, et ayant un sens dans les crises actuelles que nous traversons. »
La vérité du corps
Pour convaincre les foules, politiciens et prédicateurs savent que les gestes ont autant – voire plus – d’importance que les mots prononcés. Afin de préparer ce spectacle, Lisbeth Gruwez a regardé ces grands orateurs en action, « aussi bien ceux du passé que les politiciens d’aujourd’hui, précise-t-elle. J’ai réuni un nombre important de gestes et de mouvements que j’ai répétés dans tous les ordres et de toutes les façons possibles : doucement, rapidement, lentement… » Et en effet, durant l’intégralité du spectacle, les gestes s’enchaînent, se répètent inlassablement à chaque son envoyé par Maarten Van Cauwerghe. Une symbiose parfaite entre les deux artistes qui pose une question : est-ce vraiment les mots qui invoquent les gestes ou le contraire ? « C’est un échange constant tout au long du spectacle, répond la chorégraphe. Les mots et la gestuelle sont en constante interaction jusqu’à ce qu’ils atteignent une sorte d’apothéose où, finalement, l’énergie dégagée par ces deux éléments aboutit à une violente exaltation. »
Les discours, à travers les siècles, ont fait avancer l’histoire pour le meilleur et pour le pire, déclenchant des révolutions et provoquant des guerres. Les grands orateurs ont cette incroyable capacité de persuasion qui permet d’inspirer ou de manipuler les foules. Une volonté de convaincre qui provoque également une certaine exaltation chez l’orateur lui-même. Enivré par les paroles, le corps répond, rétorque et délivre seul un message au public. C’est ce discours corporel, au début amical et apaisant, que Lisbeth Gruwez prononce au public avant que, dans sa transe, l’orateur ne sombre dans la violence, laissant sa gestuelle dominer ses mots. Finalement, le corps ne délivre-t-il pas un message plus clair que les mots ? « Le corps ne ment jamais, répond la chorégraphe. A moins qu’on l’étudie afin de tromper les foules et ainsi l’utiliser pour envelopper le mensonge », conclut-elle.
It’s going to get worse
and worse, my friend
Du 22 au 24 Janvier 2015 à 20h
Scotiabank Dance Centre,
677 rue Davie, Vancouver