Dans La Trilogie coréenne, son troisième roman, l’auteur québécois Ook Chung convie les lecteurs sous les branches de son arbre familial. Japon, Corée, Canada : trois pays, trois lieux et trois temps de vie qui se lisent (et lient) au gré des promenades, entre les branches. Un récit “à reculons” pour se rapprocher de sa naissance, s’arracher à sa condition d’exilé, prendre coréanité.
Le livre s’ouvre sur un arbre. Ou plutôt sur deux branches. La maternelle, fournie, et la paternelle, un peu bancale. Tout le récit part de ces deux branches. Chung, né au Japon en 1963 de parents coréens, mais ayant poussé au Québec, nous emmène en voyage sous les branches de la parenté, proche ou lointaine. Pour étoffer l’arbre. Comme dans une quête éperdue de récits/racines. « Je marche à reculons vers ma naissance, effaçant les pages de ma vie l’une avant l’autre, dans une tentative de retrouver mon empreinte perceptive. Empreinte, imprimer, quel jeu de mots ironique… », dit-il ainsi.
Se décrivant jeune comme un « adolescent de papier » que « la nicotine des mots ne quitte jamais », Chung est un étrange conteur-né, dont le style oscille entre journal de bord et poème. Écrit en français, une langue qu’il considère presque comme un « accident de parcours », tant c’est elle qui l’a adopté plutôt que l’inverse, le récit est feuillu. L’auteur cherche à se départir ainsi, à force de mots, de livres (ces « peaux de signes ») et de références littéraires (sa seconde famille se trouve du côté des écrivains), de sa condition d’être-en-exil : « J’ai été si longtemps un noyé à la dérive, un noyé ne se sachant pas noyé. J’ignorais que je m’accrochais à chaque visage asiatique rencontré au passage comme à une parcelle d’un paradis et d’une patrie perdus, que je tenterais de recoller comme les morceaux d’une mosaïque. »
Entre les branches, en suivant le « fil d’Ariane » des Chinatown du monde entier, on découvre avec lui le Japon des années d’après-guerre, animé par le sentiment d’anaé, une forme de sombre romantisme, mais aussi et surtout la Corée du han, propre au dolorisme et au pathos. Chong y raconte également son « hiver » de pays, le Québec, comme personne. Ce qui lui a d’ailleurs valu d’être qualifié par Marie-Christine Blais, dans le quotidien La Presse, non pas comme un auteur québécois de souche, mais comme « un auteur québécois de cime ». Pouvait-on le dire plus joliment ?
Pour toutes celles et ceux qui se sont déjà sentis hors-sol, déracinés, loin de leurs origines, je recommande cet ouvrage, publié au Boréal. Chong vous offre son récit en adoption, et il est possible que vous y trouviez un parent littéraire. Même si en bout de ligne, l’écrivain cherche surtout à se (re)faire petit : « Moi, je sais bien que je serais satisfait de vivre sans livre, de désécrire les pages tristes de mon exil, si cela pouvait me rapprocher de l’innocence de mon enfance. »